Géopolitique

Rwanda, un petit pays stratégique

Force militaire, travail d’image, influence. Paul Kagame, en route pour une réélection, a fait du Rwanda un acteur important dans la région de l’Afrique des Grands Lacs. Dans son positionnement continental, comment le Maroc perçoit-il ce territoire stratégique ?

Il y a de cela trois décennies que le pays de Paul Kagame, comme un phénix qui renaît de ses cendres, a triomphé de l’horreur de la tragédie de 1994. Parti de zéro, le Rwanda dans la région des Grands Lacs a su construire ces dernières années un modèle économique. « Nous avions tout perdu. Nous n’avions d’autre choix que de nous reconstruire », déclarait le président rwandais, Paul Kagame, dans une interview récente accordée à la chaîne France 24.

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Et les chiffres témoignent. Depuis dix ans, le Rwanda enregistre la plus forte croissance au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et la plus significative amélioration du niveau de vie (voir « Repères » en fin d’article). Cette dynamique s’explique avant tout par des investissements publics massifs et un secteur agricole, dont l’économie rwandaise est tributaire, en pleine croissance. En effet, grâce à ses montagnes et ses vallées, le Rwanda, surnommé le pays des Mille Collines, s’est spécialisé dans la récolte de café et de thé, principalement cultivés dans le Sud-Ouest, autour de la ville de Cyangugu. Selon les données de l’Institut national de la statistique et de l’Organisation mondiale du commerce, le secteur représentait, en 2022, presque la moitié des emplois et 25 % du PIB du pays, ainsi que son premier poste d’exportation en volume (plus de 40 % du total), devant les industries extractives (environ 20 %), avec des recettes à l’export de quelque 790 millions de dollars – en hausse de 45 % par rapport à 2021 – pour l’ensemble des produits agricoles et agroalimentaires. Cependant, le premier produit d’exportation du pays en valeur est l’or, qui, en 2022, a rapporté à lui seul 556 millions de dollars de recettes.

Le pays exporte en outre des huiles de pétrole ou de minéraux bitumeux – 198 millions de dollars en 2022, deuxième poste à l’export en volume –, des pierres précieuses, ainsi que d’autres minerais et leurs concentrés. Le Rwanda a d’ailleurs pour projet de se positionner comme un hub sous-régional de la transformation des minerais, un secteur où il est concurrencé par l’Ouganda. Contacté par Challenge, l’économiste Driss Aissaoui déclare : « Le président Paul Kagame a eu l’intelligence de transformer son pays depuis l’épisode douloureux du génocide. Sur le plan de l’industrie, de l’aménagement territorial, le Rwanda est une étoile qui brille aujourd’hui sur le continent. »

Un pays très attractif…

Depuis 2022, le nombre d’entreprises françaises présentes au Rwanda a quasiment doublé, passant de 25 à 45. Parmi les principaux groupes français actifs au Rwanda figurent TotalEnergies et Duval. L’autre partenaire clé du pays demeure le Qatar, qui est désormais propriétaire à 60 % du futur aéroport de Bugesera, qui sera mis en service en 2026. Le tourisme haut de gamme est aussi un autre volet, directement piloté par Visit Rwanda, sur lequel le pays a fortement misé et qui lui permet d’engranger d’importantes recettes. Avec une offre de complexes hôteliers de luxe et de safaris « exclusifs », le tourisme représente aujourd’hui 10 % du PIB, soit 620 millions de dollars de revenus générés, en ayant accueilli plus de 1,48 million de visiteurs en 2023. Par ailleurs, avec sa holding Crystal Ventures, le Rwanda dans la région des Grands Lacs a pu asseoir un véritable empire. En Centrafrique, au Mozambique, où Paul Kagame déploie son armée, mais aussi en République du Congo ou encore au Zimbabwe, elle investit dans des mines de diamants et de graphite, des usines de jus de fruits ou propose des services de sécurité…

Maroc-Rwanda, quel rapprochement stratégique ?

C’était en octobre 2021 que le ministre des Affaires Étrangères, de la Coopération Africaine et des Marocains Résidant à l’Étranger, Nasser Bourita, avait été reçu en audience par Paul Kagame, Président de la République du Rwanda. Lors de cette rencontre, les deux pays s’étaient accordés sur l’idée de renforcer leur coopération. Aujourd’hui, le Maroc exporte principalement des conserves de sardines au Rwanda. Mais il y a énormément de potentiel non exploité, particulièrement en ce qui concerne le phosphate d’ammonium que le Royaume n’exporte pas pour l’instant et dont le potentiel d’exportation atteint les 2,1 millions de dollars. Au travers du chantier de la ZLECAF, ce rapprochement est d’autant plus crucial.

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« Le Maroc doit saisir la lucarne de la ZLECAF pour aller à la rencontre des régions africaines où il n’est pas encore présent afin d’y exporter son expertise, » explique l’économiste Hicham Alaoui. De son côté, l’économiste Driss Aissaoui revient sur le leadership des deux nations sur le continent : « D’entrée, il faut dire que le Maroc et le Rwanda sont des acteurs très actifs dans la recomposition de l’Afrique. Et dans ce pays, tout a été fait au niveau de la jeunesse pour aller vers cette nouvelle Afrique. Cette nouvelle Afrique à laquelle Sa Majesté que Dieu l’assiste avait appelé. Il a dit une chose qui reste gravée dans les mémoires collectives : l’Afrique n’a besoin que de l’Afrique. » Pour l’économiste Mehdi Fakkir, à la lumière du positionnement stratégique du Rwanda et surtout de sa stabilité dans cette région souvent encline aux troubles, le Maroc doit renforcer davantage sa coopération avec le Rwanda.

 
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