Tribune et Débats

Sebta-Melilia : Et si on osait la co-souveraineté ?

Face à l’augmentation des flux migratoires et alors que la gestion des deux enclaves devient de plus en plus complexe, une solution novatrice pourrait émerger : la co-souveraineté. Ce modèle permettrait aux deux nations de codiriger ces territoires stratégiques en renforçant les liens économiques et sécuritaires, tout en respectant leurs revendications respectives.

La crise migratoire qui a frappé les abords de Sebta dimanche dernier, où des milliers de migrants ont affronté la police près de Fnidek, est appelée à se répéter. C’est une évidence. Tous les experts prédisent une explosion des flux migratoires entre l’Afrique et l’Europe lors des trente prochaines années. Et les deux enclaves situées au nord du Maroc seront les premières impactées par cette projection. La situation n’est donc pas tenable, ni pour Madrid, ni pour Rabat.

Alors que le contexte migratoire se durcit, les enclaves de Sebta et Melilia se retrouvent au cœur d’un dilemme géopolitique qui pourrait nécessiter une solution radicalement nouvelle : celle de la co-souveraineté. La gestion des flux migratoires et la dépendance économique à l’égard du commerce transfrontalier avec le Maroc sont autant de problématiques qui plaident pour la recherche d’une solution, laquelle solution, quand bien même elle n’est pas définitive, permettrait, du moins, à ces deux villes d’envisager les cinquante prochaines années d’une manière beaucoup plus sereine.

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La co-souveraineté, qui consiste à partager la gestion et la souveraineté de Sebta et Melilia entre l’Espagne et le Maroc, permettrait de concilier les revendications historiques du Maroc et les intérêts stratégiques de l’Espagne. Ce modèle novateur offrirait un cadre juridique et administratif partagé, où les deux nations codirigeraient les affaires politiques, économiques et sécuritaires des enclaves, tout en respectant la diversité culturelle des habitants.

Le précédent de Hong Kong, même s’il ne peut être totalement calqué sur Sebta et Melilia, donne des indications utiles sur la manière de gérer une transition progressive de souveraineté. Dans le cas des deux enclaves, cela permettrait au Maroc de reprendre pied sur un territoire qu’il considère comme sien, tout en assurant à l’Espagne une continuité administrative et une stabilité économique.

Dimension politique

Le modèle de co-souveraineté implique que le Maroc et l’Espagne exerceraient conjointement des droits souverains sur Sebta et Melilia. Cela signifierait que les deux pays partageraient des responsabilités de gouvernance, tout en permettant une autonomie locale. Les citoyens des deux enclaves conserveraient probablement un double statut juridique, leur permettant de bénéficier des droits espagnols et marocains.

Ce modèle pourrait inclure la possibilité d’une double nationalité pour les habitants des deux villes, leur permettant de conserver leurs liens avec l’Espagne tout en devenant citoyens marocains. Cela pourrait être un facteur clé de la réussite, en particulier pour répondre aux préoccupations des résidents qui craignent de perdre leurs droits européens.

Tout en maintenant une autonomie pour ces deux villes, les autorités locales de Sebta et Melilia pourraient être élues indépendamment, avec un système de gouvernance bicommunautaire, similaire à ce qui a été observé dans d’autres territoires à souveraineté partagée.

L’économie comme pilier de la co-souveraineté

Les deux enclaves dépendent largement du commerce transfrontalier avec le Maroc, ce qui représente une interdépendance économique forte. En 2019, 80 % des échanges commerciaux de Sebta et Melilia concernaient des transactions avec le Maroc. Ce lien pourrait être renforcé dans un modèle de co-souveraineté, où le développement des zones économiques spéciales et des infrastructures logistiques permettrait d’accroître les échanges bilatéraux. Actuellement, le commerce informel entre le Maroc et les enclaves représente des millions d’euros de marchandises, et un cadre de co-souveraineté permettrait de mieux encadrer et légaliser ces échanges.

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Le modèle de co-souveraineté pourrait également capitaliser sur les avantages fiscaux des enclaves, notamment leurs taux réduits de TVA, pour attirer les investisseurs marocains et étrangers. Le commerce de détail dans les deux villes attirait jusqu’en 2019 des milliers de Marocains, générant des retombées économiques importantes. Ce modèle pourrait être amplifié sous un régime fiscal commun qui favoriserait la création d’emplois et d’entreprises sur les deux territoires.

Les ports de Sebta et Melilia sont des centres stratégiques pour le commerce avec le Maroc et l’Europe. En 2020, ces deux ports ont traité environ 3 millions de tonnes de marchandises, jouant ainsi un rôle crucial dans le transit des biens entre l’Afrique du Nord et l’Europe. Dans un modèle de co-souveraineté, des investissements conjoints entre l’Espagne et le Maroc pourraient permettre de moderniser ces infrastructures, augmentant leur capacité et leur efficacité.

Un investissement conjoint pourrait permettre la construction de nouvelles installations pour le stockage et la gestion de marchandises, facilitant ainsi le commerce bilatéral. Cela pourrait également permettre de mieux relier ces ports aux infrastructures marocaines, notamment par des liaisons ferroviaires ou routières plus efficaces, augmentant ainsi les volumes de commerce avec l’Europe et l’Afrique subsaharienne.

Des zones industrielles et logistiques conjointes pourraient être développées autour des ports pour attirer des entreprises des deux pays. En renforçant la capacité des ports à traiter des volumes plus importants de marchandises, il serait possible d’attirer des investisseurs étrangers et de stimuler l’emploi local. Cela pourrait aussi augmenter le chiffre d’affaires des échanges transfrontaliers, actuellement évalué à plusieurs centaines de millions d’euros chaque année.

Effets multiplicateurs économiques

Un modèle de co-souveraineté pourrait engendrer un effet multiplicateur économique pour les deux pays. En 2019, Sebta a enregistré un commerce de près de 400 millions d’euros avec le Maroc. Grâce à une coopération renforcée, ce chiffre pourrait croître avec l’augmentation des exportations et importations bilatérales.

Un autre aspect important de ce modèle pourrait être le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) marocaines et espagnoles. En offrant des facilités fiscales et des conditions préférentielles pour l’accès aux marchés des deux enclaves, les PME pourraient trouver des opportunités de croissance dans ces zones à haute valeur ajoutée.

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Le partage des recettes fiscales entre les deux pays pourrait être négocié de manière à favoriser à la fois les investissements publics espagnols et marocains dans les infrastructures, la santé et l’éducation, tout en stimulant la compétitivité économique régionale.

Actuellement, environ 30 % de la main-d’œuvre dans les enclaves de Sebta et Melilia est marocaine, majoritairement issue des régions de Tétouan et Fnideq. Un modèle de co-souveraineté pourrait intégrer davantage cette population dans les marchés formels, garantissant une protection sociale accrue et une régularisation de leur statut professionnel. Il ne faut pas oublier que les taux de chômage à Sebta et Melilia, qui avoisinent les 26 %, figurent parmi les plus élevés en Espagne.

En investissant dans des secteurs productifs tels que le commerce, la logistique ou encore le tourisme, il est envisageable de créer des milliers de nouveaux emplois pour les populations locales des deux côtés de la frontière.

Gagnant-gagnant

Pour le Maroc, tout comme pour l’Espagne, les bénéfices à tirer d’une co-souveraineté sont certains.
Le Maroc bénéficierait d’un accès plus direct aux marchés européens grâce à des infrastructures modernisées et une ouverture commerciale facilitée. La co-souveraineté permettrait de créer des emplois formels pour la main-d’œuvre marocaine, réduisant ainsi la précarité liée au commerce informel.
Une telle solution peut satisfaire, même partiellement, les revendications territoriales historiques du Maroc sur ces villes. Même sans une rétrocession totale, la co-souveraineté donnerait au Maroc un rôle direct dans la gestion de ces territoires.

Pour l’Espagne, le partage de la souveraineté lui permettrait de stabiliser ses relations avec le Maroc sur le long terme, tout en préservant ses intérêts stratégiques dans la région.
La coopération avec le Maroc et l’investissement dans les infrastructures des enclaves stimuleraient l’économie locale et réduiraient la dépendance vis-à-vis des subventions de Madrid. La gestion des deux enclaves, militairement coûteuse, reste extrêmement budgétivore pour l’État central.

Sécurité et lutte contre l’immigration clandestine

Les questions de sécurité, et en particulier la gestion des flux migratoires, sont des préoccupations majeures pour Sebta et Melilia. Actuellement, les enclaves sont l’un des principaux points d’entrée pour les migrants clandestins cherchant à rejoindre l’Europe. Une coopération accrue entre le Maroc et l’Espagne sous un modèle de co-souveraineté permettrait de mutualiser les efforts pour surveiller les frontières et prévenir l’immigration illégale.

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Le Maroc bénéficierait de financements européens accrus pour renforcer ses infrastructures de sécurité frontalière. Et une meilleure coordination avec l’Espagne permettrait de réduire les tensions diplomatiques récurrentes liées à la question migratoire. L’Espagne, quant à elle, profiterait d’une réduction de la pression migratoire sur ses enclaves tout en améliorant la coopération sécuritaire avec le Maroc. Cela permettrait également de renforcer la lutte contre les trafics illégaux et d’améliorer la gestion des flux migratoires.

Face à des défis économiques, migratoires et sécuritaires de plus en plus pressants, la question de Sebta et Melilia pourrait trouver une réponse novatrice dans un modèle de co-souveraineté. En partageant la gestion de ces enclaves, le Maroc et l’Espagne pourraient non seulement sceller une alliance de longue durée, mais aussi transformer ces territoires en hubs économiques prospères, bénéficiant aux deux nations.

 
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