Sécheresse : vers une nouvelle approche économique pour le monde agricole ?
Les ressources naturelles, notamment l’eau, s’épuisent. Dans un contexte où elles deviennent de plus en plus rares, peut-on encore produire de la même manière qu’il y a 20 ans ? Devons-nous repenser notre conception même de la croissance économique ?
« La préservation de l’eau est une responsabilité nationale qui engage toutes les institutions et tous les acteurs. Ce devoir incombe également à tous les citoyens. À cet égard, nous appelons les autorités compétentes à plus de fermeté dans la protection du domaine public hydraulique, à l’opérationnalisation de la police de l’eau, et à la lutte contre le phénomène d’exploitation abusive et de pompage anarchique des eaux », extrait du discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l’occasion du 25e anniversaire de l’accession du Souverain au Trône.
Pour beaucoup d’observateurs de la vie publique nationale, ce discours a mis la question de l’eau au centre de l’action gouvernementale, en faisant une priorité de haute instance. Comme certains de ses voisins de la région, le Maroc fait face depuis quelques années à une véritable crise hydrique, plongeant ainsi le monde agricole dans une forme de peur bleue. Une batterie de solutions a vu le jour : le gigantesque plan des grands barrages dans les années 1970, le projet de l’autoroute de l’eau et même les 50 centrales de dessalement qui devront être construites d’ici 2050.
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Aujourd’hui, bien que ces solutions soient louables, nous sommes en droit de nous demander s’il n’est pas temps d’interroger également les actions de l’homme dans ce problème ? Faut-il réformer notre modèle économique dans ce nouveau contexte où l’agriculture pratiquée il y a 20 ans n’est plus tenable aujourd’hui ? À l’échelle nationale, par exemple, des cultures connues pour leur consommation excessive en eau (avocat, tomate…) sont toujours encouragées, à la lumière des devises qu’elles rapportent.
« Le Maroc étant dans un état de stress hydrique critique ne peut se permettre la culture de l’avocat. L’eau, étant un bien public, surtout dans une telle rareté, fait de cette culture un luxe qu’on ne peut s’autoriser », explique l’agro-économiste Larbi Zagdouni. Il ajoute : « Nous sommes face à un enjeu de sécurité hydrique. Bien que les externalités économiques de ces cultures soient mises en avant, la durabilité doit primer sur les chiffres à court terme. Il faut abandonner cette logique du ‘après moi le déluge’, car avec les températures actuelles, la question climatique doit être prise au sérieux pour éviter une future pénurie d’eau potable. »
Cependant, Benali insiste : « La culture de l’avocat, au-delà des emplois, offre au Maroc d’importantes devises. » Aujourd’hui, des réflexions sont en cours pour utiliser de l’eau dessalée afin de compenser l’utilisation des ressources d’eau douce, comme l’explique le président de la Comader.
Vers un modèle agricole tenable ?
Peut-on, comme le disait Pierre Rabhi en 2010, aller « vers la sobriété heureuse » ? Comment, en 2024, faire en sorte que cette sobriété, imposée notamment par la raréfaction de l’eau, devienne un choix, voire le fondement d’un nouveau modèle économique ?
Il ne s’agit pas ici de prôner l’émergence d’une économie « Amish », ni un retour à un mode de vie d’un autre âge. Il est question de prendre en compte, dans notre approche de croissance et de développement à tout prix, les réalités imposées par la nature. Aujourd’hui, pour de nombreux économistes, la technologie seule ne suffira pas à résoudre les problèmes climatiques. Penser l’action humaine dans le cadre des grands défis climatiques est la clé pour trouver des solutions durables, au-delà des solutions techniques proposées.
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« L’eau produite par dessalement ne peut en aucun cas remplacer les eaux conventionnelles, indispensables pour l’agriculture. Le dessalement n’est pas la panacée ! », affirme l’économiste Hicham Alaoui d’Allianz Trade. Il nuance également : « Le stress hydrique n’est ni un concept abstrait ni une lubie idéologique. Selon certaines études, près des deux tiers de la population mondiale pourraient bientôt faire face à une pénurie d’eau, directement ou indirectement. De nombreux dirigeants d’entreprises ont été formés dans un contexte où les préoccupations environnementales étaient présentes, mais pas aussi urgentes qu’aujourd’hui. Trouver un équilibre entre la croissance économique et ces défis est particulièrement difficile. » Il ajoute : « Toute réponse tranchée serait purement théorique. »
Aujourd’hui, à la lecture du discours du Trône, la responsabilité de l’homme a été mise en lumière. Cette responsabilité ne doit pas être occultée au regard des solutions techniques. Il est nécessaire de tenir de véritables assises sur l’avenir du monde agricole afin de trouver un équilibre entre croissance économique et respect des contraintes climatiques.