Séisme au Maroc : grand angle sur l’impact psychosocial
Le tremblement de terre est soudain et sporadique, il implique la perception d’une menace potentiellement mortelle… Pour le sociologue Zakaria Kadiri, en plus des pertes en vies humaines, et matérielles, les dégâts sociaux sont énormes…
La prévention des catastrophes et surtout la gestion psychosociale post-catastrophe est devenue, depuis quelques décennies, un enjeu sociétal majeur et ce, dans bon nombres de pays. Récemment au Maroc, l’épisode inattendu du tremblement de terre, qui a fait à ce jour près de 2.862 morts pose sur la table la question de la gestion psychosociale des populations sinistrés. Dans une étude financée par le CNRS, les experts en catastrophe (Damienne Provitolo, Edwige Dubos-Paillard, Nathalie Verdière, Valentina Lanza, Rodolphe Charrier, Cyrille Bertelle et M.A. Aziz-Alaoui) expliquent que « les comportements humains diffèrent en fonction du zonage de la catastrophe. On distingue quatre zones, respectivement nommées : la zone d’impact, où les destructions matérielles sont très importantes, le nombre de victimes élevé et où la désorganisation sociale est la plus grande, la zone de destruction, où les dégâts matériels sont très importants mais où le nombre de blessés est moindre et l’organisation sociale très perturbée, et les zones marginale et extérieure qui sont généralement peu touchées par l’événement ». « Ce zonage, appliqué spécifiquement au tremblement de terre, peut s’étendre à d’autres évènements, qu’ils soient d’origine naturelle ou technologique. Cependant, des sinistres ayant une empreinte spatiale limitée (exemple des naufrages) entrent difficilement dans cette catégorisation en zones ».
Contacté par Challenge, le sociologue Zakaria Kadiri, nous confie qu’en effet les conséquences psychosociales sont également à prendre très au sérieux. « Nous avons enregistré des familles entières qui ont été complètement décimées. Au-delàs du coût humain, les séquelles psychologiques pour les proches sont énormes ». Et d’ajouter qu’ « au-delà de l’effet de douleur, ce sont des hommes ou des femmes qui dans certains cas participaient au soutien de leur famille (par leur activité). Leur disparition créera certainement des incertitudes de survie pour certaines familles ».
Les comportements humains en fonction des zones de catastrophe
Pour tenir compte de ces différents aspects, les experts Dubos-Paillard et Provitolo ont construit une typologie des comportements humains pouvant se produire dans les zones d’impact et de destruction d’une catastrophe. Cette typologie est organisée selon deux axes : les zones cérébrales impliquées dans les réponses comportementales d’une part, les phases temporelles de l’évènement et son alerte d’autre part.
« Au regard des phases temporelles de la catastrophe et du rôle de l’alerte. A chacune de ces phases, respectivement nommées « préalable au choc », « choc » et « postérieure au choc », correspond un certain nombre de comportements susceptibles d’être observés dans les zones directement impactées. Leur apparition varie cependant selon l’alerte ou non aux populations. « Pour étayer nos propos, lorsqu’un danger est annoncé (ex. ouragans) mais que la distance temporelle entre sa manifestation et son annonce est importante, les réactions humaines sont davantage réfléchies qu’instinctives. En revanche, les comportements instinctifs se produisent lorsque l’évènement se rapproche dans le temps et l’espace et que les possibilités de bénéficier d’une pleine protection n’existent plus ou lorsque l’évènement se produit par « surprise » car il n’a pu faire l’objet d’une alerte préventive (ex. des tsunamis locaux qui prennent naissance près des côtes, des tremblements de terre). Précisons enfin qu’un comportement en période de catastrophe n’est pas spécifique à un niveau d’analyse. Il peut en effet se lire au niveau des individus, de la famille, du groupe ou de l’organisation», expliquent les experts.
Typologie des comportements humains observés au sein des zones d’impact et destruction selon la temporalité de la catastrophe
Lorsqu’un événement imprévu survient, des réactions instinctives telles que la peur, la fuite panique et la sidération peuvent s’emparer de la population. Si pour certains, cet état est de courte durée, évoluant rapidement vers des comportements contrôlés, pour d’autres, il peut durer plus longtemps et se propager rapidement en cas de panique collective.
Les comportements Réflexes : Ils correspondent à l’ensemble des comportements instinctifs. Les réactions réflexes déclenchées lors d’un danger permettent à l’organisme de réagir extrêmement vite, soit en s’enfuyant le plus rapidement possible, soit en luttant de façon automatique, soit en étant sidéré et physiquement incapable de se mouvoir dans l’espace ou ayant pour seule mobilité un lent déplacement centrifuge.
Les comportements de Panique : « la panique collective de fuite existe bel et bien ». Elle « peut saisir des groupes d’effectif restreint aussi bien que des foules entières. Elle peut se produire aussi bien dans un local que dans une salle de spectacle, dans une ville sinistrée par un incendie gigantesque, ou dans un pays fuyant une invasion ennemie ». De plus, la panique a un « statut » un peu particulier car si cette réaction n’est pas la plus fréquente, elle est en revanche crainte car difficile à enrayer une fois déclenchée (Crocq, 1994).
Les comportements Contrôlés : Ils sont régis par le cortex préfrontal qui prend le relais du cerveau reptilien (Berthoz et Grèzes, 2011). Les réactions réflexes prises sous le coup de la surprise et de l’irruption du danger laissent ainsi place aux réactions contrôlées, raisonnées, intelligentes.
La durée des comportements
Selon les calculs des experts, la durée du comportement réflexe varie de quelques minutes à 1 heure. Le plus souvent ce type de comportement ne dépasse pas 15 minutes. Mais il peut durer plus longtemps notamment lorsqu’il correspond au délai d’évacuation d’une région sinistrée. Dans ce cas on voit alors réapparaitre progressivement un retour aux comportements d’entraide et de recherche des proches et des sinistrés. Pour ce qui est de la durée du comportement de panique, elle varie de quelques minutes à 1 heure. Le plus souvent ce type de comportement ne dépasse pas 15 minutes. La panique collective se résout généralement spontanément. Cependant, parfois une intervention énergique extérieure permet à la population paniquée de retrouver un état de calme dans la prostration ce qui explique que cette dernière repasse par un comportement d’automate avant d’adopter un comportement contrôlé.
Par contre, la durée du comportement émotionnel non contrôlé ne dure pas plus d’1h30 en général. Dans le cadre de ce modèle, « nous partons en effet de l’hypothèse qu’un individu ne peut pas rester 1 heure dans un comportement réflexe et encore 1 heure dans un état de panique ». Et enfin, la durée du comportement contrôlé varie de quelques minutes à plusieurs heures, selon la reprise des rôles et des missions par les acteurs institutionnels.
Le tsunami de l’Océan indien : un cas d’école de la gestion psychosociale.
Le 26 décembre 2004 survenait le tsunami de l’Océan indien. Provoqué par un tremblement de terre sous-marin de magnitude 9,1 à 9,3 sur l’échelle de Richter, il a frappé 14 pays sur deux continents. L’Indonésie, la Thaïlande, le Sri Lanka et l’Inde ont été les pays les plus touchés. Les statistiques montrent qu’en Inde, 1744 enfants de moins de 18 ans sont devenus orphelins et on estime à 1450 le nombre d’enfants ayant perdu un parent. Dans la partie la plus touchée de l’Inde, au sud, dans l’état du Tamil Dadu, 530 enfants ont perdu leurs deux parents.
Le projet « post-tsunami, financé par le 7ème Programme Cadre de la Commission européenne, a été ainsi lancé pour le soutien psychosocial de longue durée auprès d’individus vivant avec des problèmes chroniques. Ce projet s’intéresse particulièrement à la manière dont les gens se rétablissent dans un contexte difficile, comme celui de la pauvreté dans les pays en voie de développement. De plus, le projet se distingue d’une approche centrée sur les lacunes et considère les enfants comme des survivants actifs plutôt que des victimes passives.
Ayant pour objectif l’amélioration du bien-être psychosocial des enfants dans l’Etat indien de Tamil Nadu et Territoire de Pondichéry, depuis octobre 2008 des étapes bien définies ont visé cet objectif. Le NIMHANS (National Institute of Mental Health and Neuro Sciences) et les universités de Pondichéry et de Madras participent à ce projet, dirigé par SOS Villages d’enfants Inde, une ONG indépendante qui axe son travail sur les enfants et les orphelins maltraités ou abandonnés, dans 132 pays du monde. Le projet a grandement bénéficié de la connaissance et des contacts de SOS Villages d’enfants.