Soft power culturel : Au-delà du zellige
Comme la Turquie, le Maroc a été un empire. Son influence s’étendait au nord jusqu’en Espagne, à l’est jusqu’en Tripolitaine, et au sud jusqu’à Tombouctou. Que manque-t-il au Maroc pour réussir là où la Turquie l’a fait ?
Il y a quelques jours, le ministre marocain de la Culture posait tout sourire avec les représentants d’Adidas au Maroc. On tenait ce jour-là à célébrer l’engagement de la marque aux trois bandes de réaliser une collection de t-shirts rendant hommage aux quatre villes impériales du Maroc. Une manière pour elle de se « racheter » après la polémique des maillots au zellige que la marque allemande avait réalisés pour les footballeurs algériens. Le Maroc criait alors au vol patrimonial. L’affaire est désormais close pour Mehdi Bensaid.
Fin avril, le ministre avait également tenu une réunion de travail avec le directeur général de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, Daren Tang, pour discuter des moyens de renforcer le patrimoine culturel marocain, le zellige en tête.
Bensaid a fait de la protection du zellige une priorité. C’est une bonne chose. Mais le Maroc, à l’histoire si riche et si ancienne, ne doit pas seulement protéger le zellige, le caftan ou certains mets gastronomiques, il doit viser bien plus haut compte tenu de l’énorme potentiel dont il dispose. Depuis quelques années, l’impression est donnée que la politique culturelle du Maroc se résume à réagir à des gesticulations venues de l’est. Le Maroc peut et doit mieux faire.
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Pour parler cru, le Maroc n’a pas d’énergie à perdre face à des adversaires de moindre calibre. L’histoire si riche de notre pays devrait l’amener à se comparer à des nations qui partagent avec lui une histoire tout aussi glorieuse, mais qui, au contraire du Maroc, ont su capitaliser sur leur passé pour devenir une véritable puissance culturelle.
Prenons pour exemple la Turquie. Ce pays, qui pendant un siècle de kémalisme a renié son passé ottoman, est devenu en ce début de XXIe siècle une véritable puissance culturelle, dont le moteur est son industrie télévisuelle. Et cela s’est fait en se réconciliant avec un passé impérial que la Turquie moderne et laïque entendait refouler.
À partir de la fin des années 2000, les feuilletons turcs ont gagné une popularité mondiale, notamment au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Amérique latine, en Asie du Sud et même en Europe de l’Est, qui jadis était sous le joug de l’empire ottoman. En parallèle des feuilletons à l’eau de rose, les réalisateurs turcs se sont vu assigner l’obligation de produire des séries dédiées à l’histoire et aux épopées de l’empire ottoman. La production sur « Soliman le Magnifique » (Harim Soultan chez nous) a connu, on se souvient, un succès foudroyant à travers le monde.
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Ce succès n’est pas dû au hasard. Il est le fruit d’une politique plus globale de renforcement du soft power turc impulsée par le régime d’Erdogan dès sa prise de fonction. Le nouveau pouvoir a soutenu financièrement les productions de séries télévisées à travers diverses subventions et incitations fiscales. Ces aides ont permis aux producteurs de créer des séries de haute qualité avec des budgets plus conséquents, ce qui a amélioré la compétitivité des séries turques sur le marché international.
Mieux, les séries télévisées ont été intégrées dans la stratégie de diplomatie culturelle de la Turquie. L’État turc a négocié des partenariats et des accords avec des chaînes de télévision étrangères et des plateformes de streaming pour la diffusion de ses productions.
Des réformes législatives ont été mises en place pour soutenir l’industrie télévisuelle. Et bien sûr, le gouvernement a fortement encouragé les producteurs à mettre en valeur le patrimoine culturel, historique et touristique de la Turquie.
Cette politique a porté ses fruits. L’influence de ce pays est telle que chez nous au Maroc, des bébés portent aujourd’hui des prénoms turcs. Face à ce succès, le Maroc doit tirer des leçons.
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Comme la Turquie, le Maroc a été un empire. Son influence s’étendait au nord jusqu’en Espagne, à l’est jusqu’en Tripolitaine et au sud jusqu’à Tombouctou. Que manque-t-il au Maroc pour réussir là où la Turquie l’a fait ? Nous aussi avons nos épopées glorieuses, nos empereurs et autres personnages historiques qui ont tout pour inspirer nos scénaristes. Nous avons un riche patrimoine architectural qui témoigne aujourd’hui encore de ce glorieux passé. Nous avons d’importantes infrastructures cinématographiques. Nous avons des studios qui accueillent les plus grosses productions américaines, grâce auxquelles beaucoup de Marocains ont été formés au métier du cinéma. Sans parler de nos paysages à couper le souffle.
Qu’attendons-nous pour commencer ce chantier ? D’autant que la fenêtre historique est unique. Car le Maroc n’a jamais eu une si bonne image à l’international qu’aujourd’hui. Le Maroc bat année après année des records d’arrivées touristiques. Et nous nous apprêtons à accueillir, dans six ans, l’événement sportif le plus important et le plus regardé au monde. Il faut saisir cette opportunité. Elle ne se répètera pas.
Le cinéma et la télévision n’ont nul autre pareil en termes de pouvoir d’influence. À nous de savoir utiliser la puissance de la narration et de la représentation visuelle pour façonner les perceptions que les pays portent à notre égard. Nous en avons tous les moyens. Il ne manque que la volonté politique.