Agriculture Céréales

Une campagne agricole 2024/2025 sous le signe du défi

Alors que la campagne agricole 2024/2025 démarre sous des auspices contrastés, les récents rapports comportent des indicateurs plus positifs que la saison précédente à cette étape. Cependant, Abdelmoumen Guennouni, ingénieur agronome et agriculteur, invoque, lui, la réalité du terrain, révélant des nuances importantes et des défis structurels persistants.

Selon les données officielles, les précipitations enregistrées entre septembre et décembre 2024 atteignent 50 mm en moyenne nationale, soit presque le double de l’année précédente. De plus, le taux de remplissage des barrages a progressé à 28,7%, contre 23,5% l’an dernier. Ces chiffres laissent espérer une reprise agricole.

Cependant, Abdelmoumen Guennouni se montre plus conservé : « Il n’y a pas eu de précipitations récentes d’une ampleur significative, ni de réelle reprise hydrique. De plus, l’amélioration toute relative du taux de remplissage des barrages n’a aucun impact sur les cultures céréalières, légumineuses et fourragères, qui dépendent exclusivement des pluies. »

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Une ambition limitée par des moyens insuffisants

Le gouvernement mise sur un programme d’irrigation couvrant 700 000 hectares pour atténuer les impacts de la sécheresse. Mais pour Guennouni, cette mesure reste insuffisante : « 700 000 hectares ne représentent que moins de 15% de la superficie emblavée annuellement au Maroc. Même si ce programme est entièrement réalisé, il ne suffira pas à compenser les pertes des 85% restants, qui continueront de dépendre des pluies. »

De plus, les infrastructures hydriques destinées à des régions vulnérables comme Drâa-Tafilalet suscitent des doutes : « Je serais étonné que ces infrastructures bénéficient réellement aux petits agriculteurs. »

Des subventions bien intentionnées mais

La stratégie « Génération Green 2020-2030 » prévoit des subventions pour les semences certifiées et les engrais afin de soutenir les agriculteurs. Pourtant, Guennouni souligne leur portée limitée : « Les subventions aux semences certifiées existent depuis des décennies, mais elles sont peu utilisées par les petits agriculteurs, qui préfèrent leurs propres semences quand elles sont disponibles. Concernant les engrais, leur usage dépend fortement de la trésorerie des agriculteurs et reste limité en début de campagne. »

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Quant au financement, notre interlocuteur déplore que « seul un faible pourcentage d’agriculteurs bénéficie de crédits agricoles, et les banques n’ont pas d’offre spécifique pour ce secteur. »

Pratiques climato-intelligentes : un potentiel sous conditions

L’agriculture sans labour, ou semis direct, fait partie des initiatives climato-intelligentes encouragées pour améliorer la résilience climatique. Si cette technique présente des avantages, elle demeure complexe : « C’est un mode de production exigeant, nécessitant un équipement coûteux et des conditions strictes pour réussir. Une sensibilisation et un encadrement adéquats sont indispensables pour son adoption. »

Produits du terroir, une solution partielle

Les produits du terroir ont été mis en avant comme une solution pour diversifier les revenus agricoles et valoriser les filières locales. Guennouni reste mesuré : « Ces produits ont un intérêt indéniable, mais leur impact réel devrait être évalué objectivement. Ils ne peuvent remplacer une véritable politique agricole globale prenant en compte les spécificités régionales et les besoins du pays. »

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Les enjeux sociaux et les perspectives

Avec 67% des emplois ruraux liés à l’agriculture, ce secteur joue un rôle crucial dans la cohésion sociale. Cependant, la dépendance à l’agriculture pluviale, combinée à l’absence d’accès élargi aux coopératives et aux assurances climatiques, accentue les tensions dans les zones rurales.

Les financements internationaux, tels que les 250 millions de dollars mobilisés par la Banque mondiale, sont perçus comme une opportunité pour transformer le système agroalimentaire marocain. Néanmoins, Guennouni insiste sur l’importance d’une mise en œuvre rigoureuse et inclusive : « Il est essentiel d’accompagner les petits agriculteurs et de garantir que ces fonds soient investis dans des projets réellement porteurs pour les communautés locales. »

Une année décisive sous haute vigilance

La campagne agricole 2024/2025 illustre l’intersection complexe entre les espoirs suscités par des initiatives ambitieuses et les défis structurels profonds. Si les soutiens nationaux et internationaux apportent des solutions potentielles, leur impact dépendra de leur pertinence et de leur mise en œuvre sur le terrain.

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Comme le souligne Guennouni, « le véritable test réside dans la capacité des politiques à répondre aux besoins réels des agriculteurs et à construire un modèle agricole résilient, durable et équitable. » A défaut, les fractures sociales et les vulnérabilités économiques pourraient s’aggraver, laissant les petits agriculteurs à la merci des aléas climatiques et du marché.

 
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