Tribune et Débats

Victoire de Trump et échec des démocrates : quels enseignements pour les partis politiques au Maroc ? [Par Amine Karkach]

Dans cette tribune, Amine Karkach analyse les répercussions de la victoire de Donald Trump et de l’échec des démocrates aux États-Unis, en tirant des leçons pertinentes pour les partis politiques marocains. En examinant de plus près les stratégies de communication et les erreurs à éviter, il entend mettre en exergue les dynamiques politiques actuelles et les défis à venir pour le Maroc.

Le vent du changement a balayé les démocrates de la carte électorale. Sur fond de colère contre la gestion de l’inflation, les Américains se sont tournés vers Trump. En stratégie politique, le jeu politique au Maroc peut en tirer plusieurs enseignements, c’est-à-dire apprendre des républicains et ne pas reproduire les erreurs de Harris.

Trump a gagné la guerre des communications

Malgré les intentions de vote qui projetaient une élection serrée, les indicateurs fondamentaux montraient des signes avant-coureurs de l’échec démocrate. Deux tiers des Américains avaient une opinion négative de l’état de l’économie. Sur le plan politique, l’inflation est radioactive et met systématiquement en échec les gouvernements sortants. Habile stratège, Trump a capitalisé sur la colère. Surtout, il a neutralisé la capacité de Harris à incarner le changement.

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Avec un message simple, les républicains ont consacré une bonne partie de leur budget publicitaire à deux enjeux : l’immigration et la question des transgenres. Le premier avait pour objectif de faire passer les démocrates pour des laxistes. Le second visait à dépeindre Harris comme une personne superficielle et déconnectée des préoccupations des Américains. Plus que cela, les républicains ont pris des risques. En investissant les podcasts, Trump a misé sur une audience clé, mais qui vote moins que la moyenne. Ce pari a fonctionné. Les raisons sont nombreuses, mais se résument en un mot : émotions.

Les solutions de Trump, comme son plan de déportation, ont fonctionné comme de puissants déclencheurs émotionnels. Son message a réussi à fédérer les travailleurs blancs et les communautés hispaniques. Là où tous les républicains ont échoué avant lui, Trump a réussi. Il a mis fin au monopole démocrate sur le vote hispanique. C’est stratégique pour l’avenir des républicains.

La coalition au pouvoir au Maroc court le même risque que Biden-Harris

La «Trumpomania» dépasse les frontières américaines. Au Maroc, ce phénomène est bien réel. De toute évidence, son appui historique à la souveraineté du pays marque les esprits. Cependant, la coalition au pouvoir devrait en faire une autre lecture politique. Les parallèles entre le gouvernement démocrate et les partis au pouvoir au Maroc sont frappants.

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Pendant que 76 % des Américains étaient «insatisfaits» de la gestion gouvernementale, un récent sondage révèle que 67 % des Marocains se déclarent «insatisfaits» du gouvernement. L’insatisfaction est certainement une perception, mais en politique, la perception est la réalité. Comme aux États-Unis, elle repose largement sur l’impression que le gouvernement n’apporte pas de réponses suffisantes face à la hausse des prix. Les points communs ne s’arrêtent pas là. Les démocrates, comme la coalition marocaine au pouvoir, ont un message politique similaire face à l’inflation.

Ils veulent convaincre les électeurs que l’économie fonctionne bien. Hélas, ce message n’est pas suffisamment convaincant. Il n’est pas axé sur le vécu et surtout le ressenti des citoyens. La crise du coût de la vie est réelle. Tenter de neutraliser ce narratif en discutant de la croissance du PIB est une approche qui ne fonctionne pas. Plutôt, elle creuse le fossé avec les électeurs.

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Dans ce contexte, l’admiration des Marocains pour Trump pourrait traduire une demande de changement vis-à-vis de l’approche actuelle. Les Marocains ne veulent pas forcément changer de gouvernement. Ils envoient plutôt le signal que le gouvernement doit changer d’approche. Jusqu’à maintenant, les partis au pouvoir ont mis en place des initiatives qui visent les plus vulnérables. Pourtant, le message politique ne passe plus. Le manque de confiance est surtout tiré par les catégories les plus précaires.

Au lieu de reproduire les erreurs politiques des démocrates, les partis au pouvoir ont l’opportunité de réévaluer leur communication stratégique. Le dernier remaniement ministériel est révélateur de ce qui ne fonctionne pas. Des jours durant, le gouvernement a fait le choix du silence médiatique sur le sens à donner à ce remaniement. C’était une opportunité pour imposer son narratif et connecter avec les préoccupations économiques des Marocains. Logiquement, c’est le narratif médiatique et les partis d’opposition qui ont dominé. L’impression générale était que le remaniement était largement tourné vers les intérêts politiques de la coalition plutôt que ceux de la population.

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Cette perception est la conséquence d’une stratégie médiatique. C’est un choix contre-productif qui crée plus de risques qu’il n’en réduit. Quand le taux d’insatisfaction est élevé, le retrait médiatique alimente le narratif que le gouvernement n’en fait pas assez. Si on fait le parallèle avec Harris, ses conseillers avaient opté pour un choix similaire. Ce faisant, elle a perdu du temps précieux pour répondre à deux questions fondamentales : qui est-elle ? En quoi est-elle différente de Biden ? Le flou autour de ces réponses a mis fin à ses chances de gagner.

On peut tirer plusieurs leçons des choix de Trump et Harris. D’abord, la crise du coût de la vie impose un réajustement de la stratégie. Répéter que l’économie va bien est une approche qui fragilise le lien de confiance. Le message pourrait être plus centré sur la perception et le ressenti autour de l’économie. C’est indispensable pour bâtir le lien de confiance. Ensuite, la stratégie médiatique pourrait être repensée. En ce sens, les chefs de partis devraient oser investir les médias alternatifs et élargir la discussion au-delà des politiques publiques et des attaques partisanes.

À l’horizon 2026, la question de l’urne commence à prendre forme. C’est la question que se posent les électeurs avant de cocher la case de leurs candidats. Ultimement, les partis au pouvoir devraient influencer le narratif afin que les citoyens se posent la question suivante : «est-ce que le changement promis par l’opposition risque de mettre en péril ma situation économique ?». Cette question ne s’impose pas naturellement. Elle est le fruit d’une stratégie.

Bio express
Diplômé en science politique de l’Université de Montréal, Amine Karkach est consultant international en communication politique et affaires publiques. Fort de 9 ans d’expérience au Parlement du Canada, il a joué un rôle clé dans la négociation de projets de loi avec le gouvernement de Justin Trudeau et l’élaboration de stratégies de communication politiques. Contribuant à la réélection de parlementaires et à la gestion d’enjeux sensibles, il a également joué un rôle clé au sein du «War Room» du Nouveau Parti Démocratique.

 
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