Portrait

Yassine Regragui, le Marocain qui a fait briller le Royaume à Harvard

À Boston, dans les salons feutrés de l’université Harvard, le Maroc a récemment eu droit à une vitrine d’exception. Lors de la prestigieuse « Arab Conference at Harvard » qui s’est tenue du 11 au 13 avril derniers, Yassine Regragui, figure montante de la fintech mondiale, a défendu avec brio les atouts du Royaume. À mi-chemin entre le stratège technologique, le penseur géopolitique et le conteur passionné, il a offert au public une fresque inspirante sur le futur de la région MENA, avec le Maroc en éclaireur.

Basé à Paris, Yassine Regragui ne connaît pas de limites géographiques. Sa trajectoire professionnelle débute en 2012, non pas en Europe ou en Afrique, mais à Shanghai, au cœur du dynamisme numérique chinois. Entrepreneur précoce, il rejoint ensuite les mastodontes Alibaba et Ant Group, où il participe à l’expansion internationale d’AliExpress et d’Alipay. Cette immersion de six ans dans la Silicon Valley asiatique forge sa vision : une compréhension fine des ruptures digitales, des routes de la soie numériques et des ambitions globales de la Chine.

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De retour en Europe, il co-dirige le département paiements chez Deloitte à Paris, conseille les plus hauts dirigeants, rejoint Worldline pour y piloter la stratégie produit, et devient membre actif de la « Digital Euro Association ». Il enseigne également dans de grandes écoles de commerce — de HEC Paris à des universités africaines — et contribue à des ouvrages de référence sur l’avenir de la monnaie. Reconnu comme l’un des 100 experts fintech les plus influents au monde, il figure aussi parmi les 40 under 40 marocains appelés à marquer la décennie.

Hub technologique

Invité à Harvard aux côtés de l’ambassadeur de Bahreïn aux États-Unis et d’un économiste du CNRS, Yassine Regragui n’était pas là pour faire de la figuration. Intervenant sur les mutations géopolitiques actuelles et leur impact sur la région MENA, il saisit l’opportunité de mettre le Maroc sous les projecteurs.

« J’ai insisté sur le fait que le Royaume est en train de devenir un hub technologique régional », nous raconte-t-il au sujet de son allocution. Il évoque lors de cette conférences les avancées spectaculaires de la digitalisation, la montée en puissance des startups marocaines, et cite un chiffre révélateur : le taux de pénétration mobile est passé de 75 % en 2017 à plus de 150 % aujourd’hui. Un bond qui reflète la connectivité croissante du pays et son potentiel d’innovation.

Interrogé sur le rôle du royaume dans la bataille technologique que ceux livrent les Etats-Unis et la Chine, Le Maroc, selon lui, est reste un acteur géopolitique subtil, capable de bâtir des ponts entre les grandes puissances. Sur les questions de souveraineté numérique et de 5G, il souligne que le Royaume a adopté une posture équilibrée : « Nous travaillons avec les Américains, les Chinois, sans exclusive. Le Maroc multiplie les partenariats, sans jamais brader sa souveraineté. »

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Ce pragmatisme stratégique, il le rapproche de l’ambition africaine du pays. « Aujourd’hui, l’Europe passe par le Maroc pour faire du business avec l’Afrique francophone. Cela n’existait pas il y a encore quelques années. » En filigrane, c’est la vision d’un pays pivot, structuré, agile et résolument tourné vers l’avenir qui se dessine.

L’éducation, la clé d’un avenir souverain

Quand on lui demande où investirait-il 10 millions de dollars au Maroc, sa réponse fuse : « L’éducation. » Mais pas une éducation classique. Il insiste sur le développement des « soft skills », de la créativité, de l’intelligence émotionnelle, toutes ces dimensions que l’intelligence artificielle ne pourra jamais supplanter. « Former les esprits à penser, à créer, à coopérer. Voilà notre vrai capital d’avenir. »

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Le reste, dit-il, se joue dans la tech. Il cite la Chine comme contre-exemple visionnaire : « En 2012, l’économie numérique y représentait 20 % du PIB. Aujourd’hui, c’est 43 %. » Et d’ajouter, presque solennel : « Si le Maroc ne prend pas ce virage, si nous n’osons pas penser les innovations de 2040 dès maintenant, nous risquons de rater le prochain train. »

Yassine Regragui n’a pas de portefeuille ministériel, pas d’ambassade à son nom. Et pourtant, à Harvard, il fut bel et bien l’ambassadeur d’un Maroc en mouvement. Volontairement ou non, il a endossé le rôle de VRP du Royaume, mettant en lumière une vision stratégique, une ambition régionale et un potentiel encore trop peu raconté à l’international. Dans une époque marquée par l’instabilité, il propose un récit alternatif : celui d’un pays stable, connecté, et porteur d’un avenir à la croisée de l’Afrique, de l’Europe et de l’Asie.

 
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