Yennayer : Ces différences qu’il faut voir entre le Maroc et l’Algérie
Yennayer, le Nouvel An amazigh, est une célébration ancestrale profondément ancrée dans les cultures d’Afrique du Nord. Bien que cette fête soit partagée par le Maroc et l’Algérie, elle illustre des contrastes marqués dans la manière dont ces deux nations abordent la question amazighe, que ce soit sur le plan historique, politique, idéologique, culturel ou social.
Au Maroc, Yennayer s’inscrit dans une dynamique de valorisation culturelle et d’unité nationale. Reconnu officiellement comme jour férié national en 2023, ce Nouvel An amazigh reflète la vision royale d’une nation qui considère la diversité comme un socle d’enrichissement mutuel et de cohésion.
Historiquement, le Maroc a su intégrer la dimension amazighe comme une composante naturelle de son identité. Le processus d’officialisation de la langue amazighe en 2011, suivi par l’inclusion de Yennayer dans les festivités nationales, témoigne de cette approche inclusive. Le pouvoir royal, instance légitime et centralisatrice, représente toutes les sensibilités culturelles et régionales du Royaume, ce qui permet de tisser un pacte d’unité transcendant les différences ethniques et linguistiques.
Dans les régions amazighophones comme dans les régions arabophones, Yennayer est célébré avec ferveur. Souvent associé à des pratiques agricoles et des festivités locales, il transcende les distinctions régionales, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance commune. Cette fête symbolise l’attachement des Marocains à leur patrimoine culturel tout en mettant en lumière la contribution amazighe à l’histoire du pays.
Une fête au carrefour des tensions identitaires et politiques
En Algérie, Yennayer est bien plus qu’une célébration culturelle ; il constitue un véritable enjeu politique et identitaire. Sa reconnaissance officielle en 2018 comme jour férié national est perçue comme une concession face aux revendications berbéristes, en particulier en Kabylie. Contrairement au Maroc, où la diversité amazighe est intégrée dans la construction nationale, l’Algérie a longtemps adopté une approche méfiante et centralisatrice vis-à-vis de cette question.
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Depuis l’indépendance en 1962, le régime algérien, dominé par une idéologie islamo-baâthiste, a cherché à uniformiser l’identité nationale autour d’un modèle arabo-islamique. Cela a conduit à la marginalisation des expressions culturelles amazighes, perçues comme une menace pour l’unité nationale. Cette méfiance a été exacerbée par les tensions historiques, notamment l’éviction, l’incarcération, voire l’assassinat des figures kabyles de la lutte pour l’indépendance, telles que Hocine Aït Ahmed, Abane Ramdane et Krim Belkacem, et la répression des revendications culturelles.
En Kabylie, Yennayer est devenu un symbole de résistance face à un pouvoir centralisé souvent perçu comme oppressif. Cette région, qui a historiquement porté la revendication amazighe, voit dans cette fête une occasion de réaffirmer son identité face à un Etat qui a longtemps nié ses spécificités culturelles.
Deux conceptions du pouvoir et de l’identité nationale
L’une des principales différences entre le Maroc et l’Algérie réside dans leur conception du pouvoir et leur gestion de la diversité culturelle. Au Maroc, la monarchie un pivot légitime, garantissant un équilibre entre les diverses composantes identitaires. Ce rôle unificateur est renforcé par un pacte politique et religieux séculaire, qui assure une continuité institutionnelle et une stabilité rare dans la région.
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En Algérie, en revanche, le pouvoir repose sur l’Armée nationale populaire (ANP), qui exerce une domination autoritaire et centralisatrice. Ce modèle, décrié pour son jacobinisme rigide, rejette la décentralisation et perçoit la diversité régionale comme une menace pour l’unité nationale. Cette méfiance explique pourquoi l’ANP concentre une grande partie de ses efforts sur le contrôle interne, notamment dans les régions amazighophones comme la Kabylie.
Symbole de cohésion ou revendication de résistance ?
Au Maroc, Yennayer illustre l’unité à travers la diversité. La fête est l’occasion de célébrer une identité commune enrichie par les multiples cultures qui composent le Royaume. Cette approche proactive valorise la dimension amazighe comme un pilier de la cohésion nationale, renforçant l’attachement des citoyens à leur patrimoine partagé.
En Algérie, Yennayer porte une charge revendicative. La marginalisation historique de la culture amazighe par le régime a conduit une partie de la population à se replier sur son identité régionale. En Kabylie, notamment, la fête est devenue un acte de résistance culturelle face à un Etat perçu comme déconnecté et oppressif.
Les contrastes saisissants de Yennayer en 2975
Le peuple marocain célèbre Yennayer comme une fête culturelle et nationale, intégrée dans un cadre institutionnel inclusif. La monarchie agit comme un pont entre les différentes composantes de la société, transformant la diversité en richesse.
Le peuple algérien, divisé par des luttes identitaires, voit en Yennayer une occasion de revendiquer une reconnaissance culturelle et politique. Le pouvoir central, en crise de légitimité, continue de voir la diversité comme une menace.
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Au Maroc, la dimension amazighe est portée par une diversité d’acteurs, transcendant les clivages ethniques ou politiques. En Algérie, elle reste concentrée dans la région de la Kabylie, alimentant des tensions avec un pouvoir central méfiant qui redoute le séparatisme kabyle sous l’impulsion du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie – MAK.
Une célébration aux significations divergentes
Yennayer, fête millénaire, met en lumière des contrastes profonds dans la manière dont Le Maroc et l’Algérie gèrent leurs diversités culturelles. Alors que le Maroc voit en cette célébration une opportunité de valoriser la richesse par les différences et la diversité, le pouvoir algérien la perçoit comme un défi identitaire à contenir.
Cette opposition illustre l’impact des institutions sur la gestion des questions identitaires : un pouvoir inclusif peut transformer la diversité en atout, tandis qu’un pouvoir autoritaire risque de la cristalliser en division. En cette année 2975 du calendrier amazigh, ces contrastes continuent de façonner les perceptions et les politiques autour de Yennayer, reflet des trajectoires historiques distinctes du Maroc et de l’Algérie.