Younes Sekkouri a-t-il raison de faire la guerre aux grèves spontanées ?
Le ministre de l’Emploi, dans l’esprit de son projet de loi, semble contre la grève spontanée. Enjeux d’une position qui protège la santé économique.
Au Maroc, depuis quelques années, l’absence d’un cadre législatif clair a souvent conduit à des grèves spontanées et non encadrées, avec leur lot d’externalités sur le monde économique. En effet, les acteurs économiques, notamment les entreprises industrielles, voient dans cette situation une incertitude qui nuit à l’attractivité du pays. Une grève imprévisible peut paralyser une chaîne de production, provoquer des pertes financières considérables et compromettre la compétitivité d’un secteur entier sur le marché international.
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Dans un contexte où le Maroc cherche à renforcer son positionnement en tant que hub régional pour l’industrie, la logistique et les services, l’émergence d’un cadre réglementant la grève s’impose. C’est dans cette optique que le gouvernement, sous l’impulsion du ministre de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences, Younes Sekkouri, porte depuis quelques mois un projet de loi visant à instaurer une réglementation plus claire encadrant l’exercice du droit de grève. Le cœur de son projet de loi vise à limiter les mouvements spontanés en imposant des procédures de préavis et des conditions spécifiques à la cessation d’activité.
L’objectif est double : garantir la continuité des services essentiels et préserver un climat propice aux affaires, tout en maintenant un équilibre entre droits syndicaux et stabilité économique. Rappelons d’ailleurs que cette question est traitée avec un point d’honneur dans les pays développés. En Europe, par exemple, des pays comme la France, l’Angleterre ou l’Allemagne encadrent le droit de grève avec des règles strictes à respecter.
« Pour une convention collective »
Cette réforme, bien que justifiée par la nécessité de sécuriser l’économie nationale, suscite des craintes parmi les syndicats, qui dénoncent une tentative de restreindre une liberté fondamentale. Dès lors, la question se pose : comment concilier les impératifs économiques du pays avec le respect des droits sociaux ?
Pour comprendre la position des syndicats, Challenge est allé à la rencontre de l’un d’eux, notamment la FNCAMO, membre de l’UMT. Ayoub Saoud, son secrétaire général, semble défavorable au projet de loi en cours. « Ce projet de loi est défavorable pour les travailleurs. Aujourd’hui, dans le rapport avec les employeurs, la grève est un ultime recours pacifique pour amener les patrons à la table des discussions. Quand on analyse le projet de loi en cours, il semble qu’il veut restreindre le droit de grève », explique Saoud. Et d’ajouter : « Nous comprenons l’idée d’équilibre économique. Cependant, il y a lieu de revenir sur les causes avant d’aborder la question des conséquences, notamment le coût économique de la grève. Aujourd’hui, nous pensons que l’approche d’une convention collective serait l’approche idoine, comme c’est le cas dans certains pays, notamment le Danemark. »
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Contacté par Challenge, l’économiste Driss Aissaoui explique que « cette loi organique sur la grève intervient dans le cadre d’une grande politique de l’emploi impulsée par le gouvernement pour solutionner toutes les problématiques de ce grand chantier, notamment dans le cas d’espèce de la grève. Il faut rappeler que ce débat dure depuis maintenant trois décennies. » « Il ne s’agit pas de remettre en cause un droit constitutionnel, mais d’en assurer un exercice plus prévisible et compatible avec la dynamique économique du pays », prévient l’économiste.
Les principales concessions du gouvernement
C’était devant la Commission de l’Enseignement, des Affaires sociales et culturelles de la Chambre des conseillers que le gouvernement est revenu sur les concessions accordées. Le ministre de l’Emploi a relevé que le nouveau projet de texte organique interdit désormais au patronat de recourir à des travailleurs de substitution en cas de débrayage. Younes Sekkouri a également indiqué que le gouvernement a accepté d’autres amendements relatifs au préambule de la loi, à la durée du préavis et à l’identification des parties auteurs de la grève dans la fonction publique et dans le monde économique.
Le gouvernement a accepté, et c’est une nouveauté, la suppression de la disposition qui maintenait « la contrainte par corps » en cas de non-paiement d’amendes liées aux sanctions infligées aux salariés lors de grèves anarchiques. Cependant, en lisant un communiqué de l’UMT, on perçoit une insatisfaction persistante. Il semble donc évident que le texte doit être affiné davantage. C’est l’idée portée par les syndicats. L’enjeu et le défi majeur, comme l’a souligné le ministre Younes Sekkouri, sont désormais de transformer ces discussions en un texte équilibré, respectueux des droits de chacun et adapté aux défis économiques du Maroc moderne.