Youssef Guerraoui Filali: «Les modules de formation doivent répondre aux exigences modernes du marché de l’emploi»

Bien que le Maroc consacre des milliards à son système éducatif, les résultats restent insuffisants. Pour Youssef Guerraoui Filali, la clé du changement réside dans une réforme profonde et une révision des priorités. Alors que le pays dépense chaque année plus de 90 milliards de dirhams pour l’éducation, les défis demeurent colossaux. Lors de cette interview, il revient sur les causes profondes de cet échec et les solutions nécessaires pour redresser la barre et garantir un avenir prometteur aux jeunes générations.
Challenge : Malgré un investissement massif dans l’éducation, le Maroc ne semble pas obtenir les résultats escomptés en termes de qualité d’enseignement et d’insertion professionnelle. À votre avis, quelles sont les principales raisons de cet échec, et comment la gouvernance du secteur pourrait-elle être améliorée pour mieux allouer ces ressources ?
Youssef Guerraoui Filali : Depuis les années 80, les constructions scolaires ont toujours fait l’objet de dépenses massives et les budgets d’investissement alloués aux infrastructures de l’enseignement ont été toujours importants, à l’exception des zones enclavées. Parallèlement, plusieurs réformes ont vu le jour, parfois confuses, mais sans qu’il y est un vrai pilotage de la performance éducative et pédagogique des élèves et étudiants de l’enseignement public. Au niveau de la Loi de Finances 2025, plus de 97 milliards de dirhams sont affectés au budget de l’Education Nationale, ce qui représente 6,5% du PIB, avec plus de 16 000 postes budgétaires réservés audit Secteur.
Cependant, la qualité de l’enseignement s’est dégradée au fil des années, ce qui a favorisé l’émergence des écoles et établissements scolaires du secteur privé. Les raisons de l’échec sont multiples, je cite entre autres : le manque d’accompagnement pédagogique et personnalisé aux élèves, le chevauchement des réformes de l’éducation en absence de bilans d’étapes, l’opération départs volontaires 2006 baptisée « D.V.D » qui a engendré un sous-effectif énorme dans le Secteur, le retard de modernisation des cours et des modules à l’instar de ce qui se fait dans les systèmes éducatifs internationaux. Par conséquent, il va falloir mettre en œuvre une refonte intégrée pour la mise à niveau de l’éducation nationale dans notre Pays. Aujourd’hui, le Maroc a lancé le modèle d’école primaire publique appelé « l’Ecole Pionnière » et qui repose sur la transformation concrète des pratiques d’enseignement en classe, mais le défi sera de le généraliser sur toutes les régions du Maroc et avec des standards identiques.
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Challenge : Les taux d’abandon scolaire demeurent élevés, notamment dans les zones rurales. Quelles mesures concrètes pourraient être prises pour améliorer l’accès à l’éducation et réduire ces abandons dans ces régions ?
Y.G.F : En référence à plusieurs rapports, l’abandon scolaire au Maroc en milieu rural, en cycle primaire, est aux alentours de 45% dans la catégorie des enfants en âge d’éduquer (filles et garçons). De ce fait, l’amélioration de l’accès à l’éducation reste tributaire de plusieurs mesures telles que : la conscientisation et sensibilisation des parents, souvent ou presque analphabètes en milieu rural, sur la nécessité de la scolarisation de leurs enfants ; l’amélioration des infrastructures routières afin de faciliter l’accès des élèves à leurs écoles dans les zones montagneuses et éloignées ; le déploiement de délégués de l’enseignement primaire au niveau des zones rurales pour accompagner les parents dans l’opération d’inscription des élèves, mais en assurant un suivi de leur scolarisation tout au long de l’année scolaire.
Dans le même ordre d’idées, un effort doit être effectué dans l’opération d’orientation scolaire pour les niveaux « Collège » et « Lycée », en vue de préparer le cursus d’enseignement supérieur et qui ne doit pas être forcément dans le domaine agricole tel que l’agronomie. Ces jeunes en milieu rural doivent avoir leur chance aussi pour émerger dans d’autres secteurs productifs tels que l’industrie de transformation, le digital, l’électronique ou les énergies renouvelables.
Challenge : L’adéquation entre la formation scolaire et les besoins du marché du travail est souvent critiquée. Comment réformer les programmes scolaires pour qu’ils correspondent mieux aux compétences recherchées par les entreprises et aux besoins du développement économique du pays ?
Y.G.F : L’orientation pédagogique des élèves vers les attentes du marché de travail doit commencer dès la première année du cycle secondaire, c’est-à-dire une fois que l’enfant avait consolidé les bases éducatives du cycle primaire (langues, dictées, calcul mental…). Cependant, les modules de formation doivent répondre aux exigences modernes du marché de l’emploi fondées sur la recherche opérationnelle, les systèmes d’information et la digitalisation accrue. Dès le cycle tertiaire (en lycée), nous devrions avoir un « étudiant avéré » qui connait sa spécialisation et qui est conscient de ses capacités en vue d’emprunter le chemin approprié, en cycle supérieur, et qui devrait le mener soit à l’entrepreneuriat ou au salarié en fin de parcours pédagogique.
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Challenge : Dans un contexte de transformation socio-économique rapide, quelle place donneriez-vous à l’implication des acteurs privés et des entreprises dans la refonte du système éducatif marocain ?
Y.G.F : Les acteurs privés et entreprises peuvent apporter un véritable support au secteur de l’éducation nationale. Cependant, il demeure crucial de les associer dans la définition des modules de formation surtout pour le cycle secondaire, et ce afin de faire adapter les apprentissages aux exigences du marché de travail. Le maintien de la passerelle entre le monde éducatif et professionnel ne peut être que bénéfique pour les former, en vue de les préparer à relever les défis de la mondialisation et de la globalisation des services, et plus particulièrement pour monter en compétences, eu égard aux nouvelles exigences technologiques (transformation digitale, intelligence artificielle…).