Géopolitique

Zlecaf, le vieux rêve de libre-échange en difficulté

La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) est souvent perçue comme un projet ambitieux, destiné à redéfinir l’économie du continent. Inspirée par les modèles d’intégration en Europe, elle aspire à créer l’un des plus vastes espaces commerciaux à l’échelle mondiale. Cependant, dans un contexte marqué par des défis de sécurité, de financement et de gouvernance, la Zlecaf semble se heurter à des obstacles majeurs. Alors que le scepticisme face à l’intégration économique se renforce dans d’autres parties du monde, notamment en Europe, l’Afrique devrait-elle envisager une nouvelle stratégie ?

La Zlecaf, qui a émergé sur les bases de la CEA, tire son inspiration des grands projets européens, tels que l’Europe des peuples. Son objectif, depuis quelques années, est de mettre en place l’un des plus grands marchés commerciaux au monde. Pour saisir l’importance de cette initiative, il est crucial de se pencher sur son histoire. La politique d’intégration régionale a pris forme en 1951 avec le Traité de Paris, créant ainsi la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Ce mouvement a gagné en ampleur avec la mondialisation, conduisant à la création de l’Union européenne. Cependant, des décennies plus tard, des spécialistes en diplomatie économique et géoéconomie jugent que cette institution a atteint ses limites. Le terme « détricotement de l’Europe », utilisé par le diplomate français Francis Gutmann, illustre ce phénomène. Le Brexit a révélé un malaise plus large, témoignant des dysfonctionnements de l’intégration régionale. En Amérique, la situation est similaire, avec de nombreux projets de coopération qui n’ont pas donné les résultats escomptés. Le Mercosur, fondé en 1991, l’Unasur, créée en 2008, et même la politique Alba, lancée par Cuba en 2004, montrent à quel point la multiplication des initiatives peut aboutir à une inefficacité, accentuée par une instabilité régionale persistante.

Qu’en est-il de l’Afrique ?

Depuis des décennies, le continent s’engage également sur le chemin de l’intégration régionale à travers des projets variés : la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa). Comme en Amérique du Sud, la quête de stabilité complique la mise en œuvre de ces projets. Les crises en Somalie et en Libye, de même que la menace de groupes terroristes tels qu’AQMI et Boko Haram, perturbent l’environnement régional. Dans ce cadre, l’avènement de la Zlecaf semble malvenu.

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En outre, les défis liés au financement en Afrique représentent un casse-tête. Prenons l’exemple du siège de l’Union africaine à Addis-Abeba, financé par la Chine. En l’absence de ressources financières provenant des États membres, les projets perdent en crédibilité et risquent d’être influencés par des puissances extérieures. À une époque où les voix souverainistes en Occident s’opposent de plus en plus à l’intégration économique, l’Afrique ne devrait-elle pas envisager une réévaluation de cette vision ?

Un chantier de titan

Cette initiative de l’Union africaine, qui semble porteuse d’espoir pour les économies locales, présente de nombreux défis auxquels les pays africains doivent faire face. D’abord, l’une des contraintes majeures se situe au niveau de la volonté politique. Le laxisme observé lors de la mise en place du partenariat pour le développement économique de l’Afrique et l’intégration inachevée des sous-régions sont des exemples patents. Ensuite, sur le volet juridique, l’accord de zone de libre-échange semble ne pas avoir pris en compte la question de la gestion des droits de propriété intellectuelle. À cela s’ajoutent également les problèmes de sécurité qui peuvent sérieusement impacter les transactions. Les conflits internes dans plusieurs pays, la criminalité organisée, le terrorisme, et l’instabilité politique, qui sont déjà des obstacles à l’intégration dans les sous-régions, risquent de l’être aussi pour l’effectivité de la zone de libre-échange continentale. En clair, il faut retenir que ce projet d’intégration économique (ZLECA) est indubitablement une initiative qui peut apporter un renouveau à l’économie africaine. Cependant, il faut tout de même garder les pieds sur terre et tirer les leçons du passé afin de faire de ce projet une réalité sur le continent africain.

Le fardeau de la dette

Selon la Banque africaine de développement (BAD), le continent dépensera environ 164 milliards de dollars en 2024 pour le seul service de la dette. Aujourd’hui, nombreux sont les États qui optent pour les emprunts extérieurs pour financer leur développement, au grand dam des coûts d’emprunt trois fois plus élevés que ceux des États avancés, selon un calcul de l’OCDE. Et ces dernières décennies, Pékin a été le berceau de la nouvelle destination de la politique de la dette africaine. Nous sommes en droit de nous demander si ce projet sera financé par la dette. Rappelons d’ailleurs que la dette publique en Afrique a atteint le chiffre effrayant de 1 800 milliards de dollars US en 2022.

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Même si les objectifs sont louables, le développement par la dette extérieure place, pour beaucoup d’économistes, les États africains dans une position inconfortable. Ces prêts faramineux accordés aux emprunteurs pour des projets de financement d’infrastructure viennent parfois avec des conditions spéciales. Par exemple, dans le cas chinois, les contrats stipulent souvent que les entreprises d’État chinoises sont les principaux entrepreneurs des projets, ce qui peut de facto freiner le développement des industries locales. Cela pourrait également constituer un levier d’influence sur ces grands projets africains dans leur ensemble.

L’épargne publique : une alternative

L’analyse établie par la Fondation Mo Ibrahim dresse un premier constat sans appel : les dépenses domestiques, comme extérieures, ne permettent pas d’atteindre les objectifs de développement socio-économique. Or, aujourd’hui, le taux d’épargne nationale moyen de l’Afrique est respectivement de 20 %. Comme l’a démontré l’ascension économique des quatre dragons asiatiques (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan), l’épargne publique a un rôle clé dans la croissance économique. Elle permet à un gouvernement de financer la majeure partie de son capital public, ce qui, par effet domino, réduit notamment la dette extérieure. Aujourd’hui, cette question en soulève une autre, à savoir la dépense publique. La solution de la dette s’est érigée en doctrine de gouvernance. Dans de nombreux pays occidentaux, l’appel public à l’épargne ainsi que la gestion efficiente des dépenses publiques sont des outils de financement pratiques et moins contraignants des grands projets. Dans cette Afrique encline aux défis constants de développement socio-économique, le financement est aujourd’hui un enjeu de gouvernance.

 
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