Fiscalité

Biens détenus à l’étranger: Repentir fiscal et amende honorable

Alerte rouge sur les avoirs détenus à l’étranger, avant fin décembre, les finances publiques espèrent toujours un sursaut citoyen des principaux intéressés qui se presseront de régulariser spontanément leur situation. A défaut, les contribuables résidant au Maroc, qui n’auront pas saisi cette amnistie de la dernière chance seront considérés comme en infraction dès le 1er janvier 2025.

Fort d’une longue expérience, le ministère des Finances et son bras armé, l’Office des changes, qui chapeaute l’opération de régularisation des avoirs et autres liquidités détenus à l’étranger, se sont engagés dans une course contre la montre au fur et à mesure qu’approche l’échéance du 31 décembre. Avec un degré de préparation bien supérieur aux exercices précédents, grâce à un réseau étendu de partenaires et bien outillé en matière numérique, grâce à une stratégie longuement mûrie pour venir à bout des dernières résistances, le département a semble-t-il converti un bon paquet de citoyens à sa politique, avec des solutions simples à des problèmes compliqués, même si le résultat est loin d’être satisfaisant.

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La décision de l’Office des changes de prolonger le délai jusqu’au 31 décembre 2024 a d’abord un caractère pédagogique. Elle vise à régulariser la situation fiscale des Marocains ayant des biens à l’étranger, et possédant une résidence fiscale au Maroc. Il s’agit de convaincre les derniers récalcitrants à faire amende honorable pour profiter des quelques semaines qui restent pour s’en sortir à moindre mal. Ce dispositif entre dans le champ des mesures fiscales incitatives qui permettent au contribuable fraudeur de déclarer à l’administration fiscale ses avoirs détenus à l’étranger, contre l’octroi d’une bienveillance quant aux pénalités infligées.

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De la même manière, et sans qu’il soit nécessaire de le rappeler, sont exclus du droit à déclaration rectificative les avoirs détenus à l’étranger dès lors qu’ils proviennent d’une activité occulte ou illicite. Les personnes concernées ayant souscrit à la contribution libératoire bénéficient ainsi de la garantie de l’anonymat couvrant l’ensemble des opérations effectuées durant la période de cette régularisation. Concrètement, il ne peut y avoir, après paiement de cette contribution libératoire, aucune poursuite administrative ou judiciaire à l’encontre des personnes concernées au titre des avoirs et liquidités qui ont fait l’objet de régularisation spontanée, que ce soit en matière de législation relative à la réglementation des changes ou en matière de législation fiscale.

Il faut savoir que l’opération ne date pas d’aujourd’hui ; elle remonte à 2014. Cette vaste opération d’amnistie sur les avoirs extérieurs avait juste convaincu 19 000 Marocains qui avaient alors déclaré leurs biens et leurs comptes bancaires détenus à l’étranger, pour un montant total de 28 milliards de DH. Relancée en 2020, l’opération avait permis à l’Etat de récupérer 528 millions de DH dans la même année. 

Quelques années plus tard, le gouvernement a institué la réinstauration, de manière dérogatoire pour l’année 2024, de la mesure de régularisation volontaire de la situation fiscale des contribuables, tel que prévue par l’article 7 de la Loi de finances pour l’année 2020. Il a ainsi offert aux intéressés une occasion en or pour se mettre en conformité avec la réglementation des changes et se libérer de toute poursuite administrative ou judiciaire, au titre des avoirs objets de la déclaration. Or, il reste encore de nombreux récalcitrants, d’où ce vaste mouvement de régularisation mis en place pour redresser les contribuables reconnaissant détenir des avoirs dissimulés à l’étranger. 

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Affirmer aujourd’hui qu’un Marocain détenant des avoirs ou des biens à l’étranger ne peut guère échapper aux radars du fisc, c’est enfoncer des portes ouvertes. Néanmoins, l’Office des changes tient à user de beaucoup de pédagogie pour expliquer aux citoyens que les conventions signées par le royaume avec bon nombre de pays, mettent à la disposition des administrations concernées les données fiscales des ressortissants marocains de ces pays. Le fisc ne dispose pas seulement des bonnes vieilles enquêtes de terrain dédiées à la détection de signes extérieurs de richesse, mais aussi de l’exploitation intensive de fichiers informatiques de plus en plus sophistiqués. La transmission de données entre pays permet au fisc d’avoir connaissance, des revenus et biens immobiliers détenus dans les pays étrangers. Ce constat est d’autant plus vrai aujourd’hui, que même dans les paradis fiscaux (Luxembourg et Suisse notamment), les banques sont tenues de demander à leurs clients de régulariser leur situation vis-à-vis du fisc de leur pays d’origine, en déclarant leurs avoirs jusqu’ici dissimulés. Les citoyens ont donc intérêt à régulariser leur situation pour amoindrir les sanctions.

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Mais l’arme fatale, le fisc pourrait l’avoir définitivement trouvée avec le ciblage de la fraude après que le royaume a signé son engagement à échanger les données bancaires, fiscales et immobilières avec les 120 pays signataires de « l’accord sur l’échange automatique des déclarations, pays par pays, promu par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, en coopération avec l’OCDE, que le Maroc a ratifié en juin 2019. À cet égard, au titre des diverses conventions fiscales internationales signées par le royaume, ces personnes ont vocation à être imposées sur l’ensemble de leurs revenus de source étrangère.

Comment font les autres ? Le rapatriement des capitaux dans le territoire national est un casse-tête qui donne des maux de tête à tous les gouvernements et plusieurs pays européens ont déjà des expériences intéressantes en la matière. Les Italiens qui, en 2010, ont réussi à rapatrier plus de 100 milliards d’euros représentent ainsi un exemple réussi.

A l’époque, le gouvernement Matteo Renzi qui n’avait évalué que les avoirs italiens cachés en Suisse (entre 120 et 180 milliards d’euros) avait offert aux contrevenants une nouvelle amnistie, à condition qu’ils déclarent leurs avoirs dans le cadre d’un programme intitulé « auto-dénonciation volontaire ». Une procédure simple qui donnait la possibilité aux concernés de s’acquitter d’une amende de 3 à 4%, pour légaliser leurs avoirs dissimulés, et même les laisser en Suisse s’ils le voulaient. Une pénalité simple, non rétroactive et non pénale. Quelques années auparavant, l’amnistie fiscale a déjà été utilisée, avec succès, sous Berlusconi, et avait rapporté plusieurs milliards d’euros aux caisses de l’État.

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Un petit bémol cependant, pour poursuivre leur objectif, les autorités financières sont obligées sans cesse de repenser leur politique dans un pays où le cash étant roi, les possibilités de contrôle de l’évasion fiscale restent limitées. Au royaume du cash, selon les dernières données de Bank Al-Maghrib, l’explosion du volume du cash a atteint un volume record de 430 milliards de DHS à fin avril 2024 ! Scandalisé par une situation qui nuit beaucoup à la transparence fiscale, Abdellatif Jouahri qui propose plusieurs solutions, dont le recours à un e-dirham, monnaie numérique traçable, destinée à remplacer progressivement la monnaie traditionnelle, déplorait justement un cash qui non seulement reste la principale voie de financement du blanchiment des capitaux et du terrorisme, mais qui offre en plus aux trafiquants un anonymat bien commode pour qui cherche à contourner la loi et la transparence. Il reste néanmoins possible de convaincre les citoyens en prenant des mesures beaucoup plus sévères, censées les amener à accepter un système fiscal, à condition qu’il soit juste, transparent et équitable pour tout le monde.

Enfin, l’Etat peut également jouer un rôle plus prescripteur pour récupérer cette manne estimée à plusieurs milliards de DHS. Selon de nombreux fins connaisseurs de ce dossier, asymétrique, inégal, la lutte contre le blanchiment des capitaux suppose un renforcement et une adaptation des institutions et des procédures. Cela suppose aussi la mise en place d’un dispositif répressif solide, mais également d’un volet préventif.

 
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