Portrait

Groupe Saham. Moulay Hafid Elalamy, un financier de génie !

Champion de la finance marocaine, Moulay Hafid Elalamy, fondateur et président du Groupe Saham, est reconnu pour ses visions audacieuses et stratégiques mais aussi pour sa capacité à anticiper les grandes évolutions économiques. Avec l’officialisation de son rachat de Société Générale Maroc le 3 décembre 2024, un véritable tournant se dessine pour lui. Cette acquisition marque une nouvelle étape majeure dans sa stratégie, après avoir transformé l’assurance et les nouvelles technologies au Maroc. Un événement qui promet de redéfinir le paysage bancaire marocain et souligne une fois de plus son flair stratégique exceptionnel. Retour sur un parcours audacieux, marqué par des décisions clés, des acquisitions ambitieuses et une vision sans faille du développement économique du Maroc.

Moulay Hafid Elalamy, Fondateur et président du Groupe Saham, a toujours nourri une ambition : doter son holding d’une banque capable de soutenir ses projets et de contribuer davantage à la dynamique économique du pays. Que ce soit par l’acquisition ou par une prise de participation majoritaire, selon les observateurs du secteur, cette vision était clairement partagée par les experts en gestion d’actifs, banquiers et assureurs. Objectif : Combler le dernier maillon manquant à Saham Assurance, la bancassurance. Cette dernière était déjà commercialisée par le groupe, principalement à travers un partenariat exclusif avec Crédit du Maroc. Mais Moulay Hafid Elalamy savait qu’il lui fallait plus pour accélérer la croissance de son empire.

Le rachat de Société Générale Maroc : un tournant décisif

En 2018, l’homme d’affaires marocain a finalement vendu sa compagnie d’assurance avant de franchir ce cap décisif. En 2024, son groupe a enfin concrétisé ce qu’il avait toujours voulu : l’acquisition d’une banque. Le 11 avril 2024, Saham a signé un accord avec la Société Générale, lui permettant de prendre le contrôle de 57,67 % du capital social et des droits de vote de Société Générale Marocaine de Banques (SGMB) et de La Marocaine Vie, pour un montant de 745 millions de DH. Cette acquisition s’accompagnait également d’une offre publique d’achat pour les actions d’Eqdom, préparée par Saham Finances, SGMB et Investima.

Mais c’est le 3 décembre 2024 que le véritable tournant a eu lieu. Ce jour-là, après l’obtention des autorisations réglementaires nécessaires, la cession de Société Générale Maroc au groupe Saham a été officialisée. Cette étape marque le début d’une nouvelle ère pour l’une des principales institutions financières du pays. Sans perdre de temps, Moulay Hafid Elalamy, à la tête de ce projet stratégique, met en place une transition ambitieuse mais stable, prête à propulser la quatrième banque du Royaume en termes de PNB vers de nouveaux sommets.

Le même jour, en effet, le Conseil de surveillance de Société Générale Maroc, désormais sous la direction du groupe Saham, s’est réuni pour la première fois. A l’ordre du jour : officialiser les nouvelles instances de gouvernance et tracer les grandes lignes de la stratégie à venir. Elalamy a pris la présidence de ce Conseil, succédant ainsi à Jean-Luc Parer, tandis que son fils, Moulay M’Hamed Elalamy, a été nommé vice-président. Le Conseil s’est enrichi de personnalités aux compétences variées, comme Layla M’Zali, Driss Benhima, Ghita Lahlou, et d’autres experts, assurant un équilibre parfait entre continuité et renouveau.

L’équipe exécutive, elle aussi, a été confirmée dans ses fonctions. Ahmed El Yacoubi reste président du directoire, tandis qu’Asmae Hajjami, François Marchal, Mehdi Benbachir et Jérôme Brun continuent à occuper des postes clés, garantissant la stabilité et la cohésion de l’organisation.

Pour Moulay Hafid Elalamy, l’un des enjeux majeurs de cette acquisition était d’assurer une transition fluide et de préserver la confiance des collaborateurs. C’est pourquoi il a choisi de maintenir une continuité managériale, afin de garantir une intégration réussie au sein de la nouvelle entité.

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Le grand retour

Ce rachat marque un grand retour pour Moulay Hafid Elalamy dans le secteur financier, après sa sortie du domaine des assurances en 2018, suite à la vente de Saham Assurance au groupe Sanlam pour plus d’un milliard de dollars. Aujourd’hui, avec cette acquisition majeure, l’homme d’affaires marocain montre une fois de plus qu’il sait anticiper les grandes dynamiques du marché, tout en restant fidèle à sa vision stratégique. Mais derrière cette réussite, c’est tout un parcours qui se dessine, fait de défis relevés et de décisions audacieuses. Du secteur des assurances au secteur bancaire, le magnat de la finance a su naviguer avec habileté, consolidant sa position parmi les figures les plus influentes du paysage économique marocain. Le chemin qu’il a parcouru témoigne de son esprit d’entrepreneur et de sa capacité à transformer chaque étape en une nouvelle opportunité.

Un début de vie marqué par la ferme familiale

Fils d’un directeur d’agence à la Banque du Maroc à Marrakech, il perd son père lorsqu’il n’a que dix ans. Ce dernier, bien qu’il n’ait pas été fortuné, était passionné par la nature et dirigeait une ferme située à une vingtaine de kilomètres de Marrakech. C’est sur ce terrain que le jeune Moulay Hafid a commencé à développer son sens des responsabilités. Alors que ses frères et sœurs étaient déjà partis, il se retrouve à la tête de cette ferme. À une époque où les femmes n’étaient pas vues comme des figures de leadership dans le monde rural, cette expérience a forgé son caractère, et peut-être même sa vision du management.

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Un parcours scolaire difficile mais déterminant

Enfant, il se décrit comme turbulent. Son parcours scolaire n’a pas été sans heurts, surtout qu’il ne s’intéressait qu’aux matières scientifiques et ne travaillait que lorsqu’il était inspiré par un professeur. Bien que ses professeurs le considéraient comme un élève perturbateur, il parvient à obtenir son baccalauréat C. L’orientation scolaire à l’époque était centrée sur des professions comme pharmacien ou médecin, ce qu’il rejette, préférant suivre son propre chemin dans un secteur alors émergent : l’informatique. Au départ, il envisage de partir au Japon, mais face à la difficulté de concrétiser ce projet, il se rabat sur les États-Unis. C’est finalement au Canada, à Sherbrooke, qu’il décide d’aller. Cette ville, située à 130 kilomètres de Québec et Montréal, offre un programme qui combine théorie et pratique, avec des stages rémunérés, une formule qui correspond à son envie de continuer à travailler.

Les premières années d’enseignement

La première année à Sherbrooke n’est pas simple, mais Moulay Hafid parvient à se distinguer parmi les nombreux étudiants marocains présents. En deuxième année, il se voit offrir l’opportunité d’enseigner aux élèves de première année, une expérience qui lui apprend de nombreuses leçons sur la gestion d’un groupe, notamment l’importance de maintenir une certaine distance avec ses étudiants, surtout lors des examens. Cette expérience d’enseignement ne s’arrête pas là : il enseigne ensuite aux actuaires, des spécialistes en assurance, et se retrouve face à des élèves de haut niveau, parfois moins engagés.

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Le début de sa carrière professionnelle au Ministère des Finances

Une fois son diplôme d’ingénieur informaticien en poche, il rejoint le Ministère des Finances du Québec en tant que stagiaire. Il devient responsable de la bureautique et travaille en étroite collaboration avec le ministre des Finances, qui rêvait de créer un ministère sans papiers. Cette expérience, au cours de laquelle il voyage à travers les États-Unis pour découvrir les dernières innovations bureautiques, marque sa carrière et l’amène à prendre pleinement conscience des enjeux de la gestion et de l’innovation dans le monde professionnel.

Après son passage au Ministère des Finances du Québec, Elalamy décide de quitter la fonction publique, qu’il ne souhaite pas embrasser. Cette décision marquante fait écho à son caractère et à son envie de s’engager dans le monde privé. Il rejoint alors la compagnie d’assurance Solidarité-Unique, où il commence comme informaticien, sans connaître vraiment le métier. Mais sa détermination et sa capacité d’adaptation se révèlent rapidement. À l’issue de son deuxième stage, le vice-président de l’entreprise lui propose un poste de directeur principal, un rôle qui fait de lui le patron de son précédent supérieur, le directeur informatique.

Leçons de leadership et vision du management

Cette expérience, qu’il décrit comme une « grande leçon », marque un tournant dans sa carrière. Lors de son stage, il rédige un rapport en deux semaines, qu’il soumet à son directeur. Après l’avoir soumis à une commission d’ingénieurs de l’entreprise, le rapport est jugé pertinent. Cependant, son directeur, en désaccord avec ses conclusions, l’invite à discuter. Ce dialogue entre le stagiaire et son supérieur devient un moment clé dans la réflexion d’Elalamy sur le management.

L’influence d’une culture d’entreprise ouverte

Son supérieur, loin de se sentir menacé par les propositions d’un jeune stagiaire, fait preuve d’une grande confiance en lui-même et dans son supérieur. Au lieu de rejeter son travail, il le soumet au vice-président de l’entreprise avec son propre rapport, en demandant à ce dernier de trancher entre les deux. Ce geste, selon Elalamy, révèle une culture d’entreprise saine et ouverte à la remise en question. Le fait d’accepter d’être contredit sans crainte est une attitude rare dans le monde des affaires, où certains managers préfèrent éliminer les collaborateurs plus compétents qu’eux pour ne pas être mis en lumière.

Cette expérience a profondément influencé sa vision du management. Dans sa propre carrière, il a cherché à inverser cette dynamique. Plutôt que de craindre la compétence de ses collaborateurs, il a toujours encouragé ses managers à s’entourer de personnes talentueuses, à les motiver et à les fidéliser. Pour lui, la valeur d’un manager est égale à celle de ses collaborateurs. Un leader doit savoir recruter des talents, les soutenir et leur offrir un environnement propice à leur épanouissement.

Ainsi, ce premier poste chez Solidarité-Unique a non seulement lancé la carrière d’Elalamy dans le secteur privé, mais lui a également appris des principes de leadership qu’il applique jusqu’à aujourd’hui : la confiance, l’ouverture à la critique, et l’importance de valoriser ses équipes.

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Le retour au Maroc et les premiers défis à la Compagnie Africaine d’Assurance

En 1989, alors qu’il était en vacances au Maroc pour une courte semaine, il croise le chemin d’Abbes Bennani-Smires, propriétaire du courtier d’assurance Agma, qui lui propose de prendre la direction générale de son entreprise. Cependant, Elalamy, fort de son expérience à l’international, refuse cette proposition, expliquant que ce métier ne correspondait pas à ses aspirations. C’est alors que Bennani-Smires le présente à Robert Assaraf, intéressé par la Compagnie Africaine d’Assurance.

Bien que cette rencontre ne le convainque pas de revenir définitivement au Maroc, elle marque le début d’une série d’opportunités. Assaraf insiste et lui suggère de rencontrer le président de l’ONA, Fouad Filali. Lors de leur entretien, en présence de Farid Britel, son conseiller, Elalamy explique qu’il est bien installé au Canada, vice-président d’un groupe, et qu’il est satisfait de sa vie là-bas. Mais cette rencontre laissera une impression durable. En effet, Farid Britel commence à l’appeler tous les matins, à 3 heures du matin, heure canadienne. Bien qu’il ne veuille pas le déranger, Elalamy finit par céder et décide de quitter sa vie bien établie pour rentrer au Maroc.

Son retour au Maroc ne se fait pas sans heurts. À son arrivée à la tête de la Compagnie Africaine d’Assurance, Elalamy découvre une entreprise certes bien établie, mais engluée dans des pratiques sclérosées. Il prend ses fonctions dans un contexte tendu : plusieurs sociétés d’assurances sont placées sous administration provisoire, et l’ambiance est lourde avec un climat de méfiance généralisée. Il se confronte alors à des réalités auxquelles il n’était pas habitué. Toutefois, il fait preuve de résilience, s’appuyant sur son expérience et ses équipes pour redresser la barre.

Au sein du groupe ONA, Elalamy bénéficie d’un certain isolement, ce qui lui permet de se concentrer sur ses missions sans trop d’ingérences. Il travaille notamment en étroite collaboration avec les AGF, un partenaire stratégique, avec lesquels il mène des échanges techniques et de soutien sur de grosses affaires. Ces années au sein de la Compagnie Africaine d’Assurance et de l’ONA sont très enrichissantes pour lui, tant sur le plan professionnel que personnel, grâce aux relations qu’il tisse avec ses équipes et partenaires.

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Les transformations et la restructuration de l’ONA

En 1994, après le départ de Robert Assaraf, Fouad Filali propose à Elalamy de prendre le secrétariat général de l’ONA pour restructurer le groupe. Bien que réticent au départ, il ne peut refuser.

Pour cette restructuration Elalamy a dû faire face à une montagne de travail : la mise en place du contrôle de gestion, l’instauration des comptes consolidés, et une gestion des ressources humaines plus rigoureuse, notamment celle des cadres supérieurs. Le groupe avait besoin d’une remise à plat juridique et structurelle. Elalamy, fidèle à ses principes de gestion, a pris des décisions radicales, mais toujours avec respect des personnes : « Nous n’avons jamais fermé de boîtes en mettant les gens dehors », explique-t-il. Il a mis en place des mesures draconiennes pour réorganiser l’entreprise, notamment en traitant les congés des cadres supérieurs, certains n’ayant pas pris de vacances depuis 25 ans.

Là où certains auraient peut-être opté pour des mesures plus brutales, Elalamy a privilégié l’accompagnement. Il a renoncé à certains privilèges comme les voitures de fonction non justifiées, et il n’a pas hésité à écarter ceux qui ne partageaient pas ses valeurs. « Nous n’avions pas les mêmes valeurs et il fallait que l’un de nous parte », souligne-t-il. Cette phase de nettoyage a permis de remettre de l’ordre dans le groupe et d’amorcer une dynamique de redressement.

Avec son président, Fouad Filali, Elalamy a partagé de nombreuses décisions stratégiques concernant les filiales, les structures, et les ressources humaines. Ensemble, ils ont redynamisé l’ONA en intégrant à l’équipe des jeunes talents formés à l’international, tout en capitalisant sur l’expérience des cadres chevronnés du groupe. Un comité stratégique a été créé, réunissant ces différents profils, afin de définir et d’exécuter une stratégie de croissance pour le groupe.

Cependant, malgré la réussite de cette phase de restructuration, un tournant décisif se produisit en 1997. Fouad Filali choisit de nommer un nouveau directeur général, Gilles Denisty, pour piloter la suite du processus. Un choix qui ne fait pas l’unanimité. Elalamy, qui avait porté la phase d’assainissement du groupe avec détermination, ne partageait pas la vision de cette nouvelle nomination. Pour lui, l’orientation vers un leadership plus austère marquait la fin d’un élan. Il estimait que la phase de développement devait désormais commencer, non pas une période d’austérité.

Ne pouvant travailler dans ces conditions, et ne voulant pas se retrouver en opposition avec la nouvelle direction, Elalamy décide de présenter sa démission. Ce fut un acte de principe : après avoir redressé le groupe, il estimait que son rôle était terminé. Pour lui, le moment était venu de passer à autre chose, de relever de nouveaux défis. Ainsi, malgré le respect qu’il portait à ses collaborateurs et à Fouad Filali, il a choisi de partir.

Alors qu’il se prépare à quitter son poste, Filali lui propose de racheter 10% de la Compagnie Africaine d’Assurance. Mais Elalamy décline, non pas par manque d’intérêt, mais parce qu’il ne voulait pas se retrouver en position minoritaire face à un actionnaire majoritaire. Un autre facteur entre en jeu : une déception personnelle. Il se sentait désemparé par la remise en question de ce qu’il avait construit avec des équipes qui avaient cru en lui.

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Le rachat d’Agma et les tensions qui en découlent

Puis, un tournant décisif dans sa carrière se produit lorsqu’il commence à travailler sur un projet d’acquisition avec Mohamed Aouzal, qui était en train de racheter ACK. Mais avant qu’il ne puisse mener à bien cette acquisition, Fouad Filali l’interpelle une nouvelle fois, lui suggérant d’acquérir 50% de la société Agma Lahlou Tazi, une entreprise de courtage en assurance dont leur groupe cherche à se séparer.  « Il n’est pas question que vous alliez dans la concurrence, alors qu’on se sépare dans de bons termes et que c’est vous qui avez décidé de partir », lui dit également Filali. L’offre semblait ambitieuse, mais elle représentait aussi une opportunité stratégique pour Elalamy. C’est ainsi qu’il devient l’acteur principal dans le rachat d’Agma en 1995, pour un prix initial de 20 millions de DH.

Mais les choses se compliquent rapidement. Un an après l’acquisition, Filali propose de racheter 50% des actions d’Agma à Elalamy, et ce, pour trois fois le prix qu’il avait payé. Après quelques tensions, Elalamy parvient à réunir les fonds nécessaires grâce à l’investissement d’Othman Benjelloun, qui achète 30% des parts, et à l’ONA qui conserve 35%. L’affaire se stabilise, et Elalamy prend la direction d’Agma.

En 1996, Othman Benjelloun et l’ONA souhaitent sortir de l’entreprise, ce qui contraint Elalamy à chercher de nouvelles solutions. Dans sa quête, il prend contact avec Philippe Carles, un représentant de Marsh McLennan à Paris, qui lui déconseille de vendre la société aux Américains, en raison de la perception qu’ils ont du marché marocain. Cependant, Carles lui suggère une idée audacieuse : mettre Agma en bourse. Cette proposition est accueillie avec scepticisme par ses partenaires, mais Elalamy persiste et obtient l’accord pour introduire Agma en bourse en 1998. L’introduction est un succès retentissant, propulsant la société à de nouveaux sommets.

Mais la suite de l’histoire est marquée par un conflit entre Othman Benjelloun et l’ONA, ce qui rend impossible pour Elalamy de rembourser son crédit. Désespéré mais déterminé, il retourne chez Marsh McLennan, où il rencontre Bob Salomon, le PDG du groupe, à New York. Lors de cette rencontre, il reçoit une proposition inattendue : Salomon lui propose de racheter Agma à un prix supérieur à sa valeur boursière, sous réserve qu’il conserve le management. Un accord qui met Elalamy dans une position de force, mais qui se heurte à la résistance de Filali, qui préfère maintenir des alliances locales avec d’autres groupes marocains.

Finalement, Elalamy est contraint de vendre une partie de ses actions à Filali, afin de rembourser ses dettes. Il cède 16% de la société au prix de la bourse, ce qui lui permet de retrouver une stabilité financière en remboursant son crédit.

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L’expansion de Saham et les nouveaux défis

Elalamy prend du recul dans les années 1990 pour entamer une réflexion sur de nouveaux projets d’investissements. Cette période de remise en question s’avère être le prélude à une expansion fulgurante, qui l’amène à fonder le Groupe Saham en 1995, une entreprise qui allait se diversifier dans des secteurs aussi variés que les technologies de l’information, les centres d’appels et l’assurance.

Son premier grand coup dans le secteur des technologies de l’information survient en 1999, lorsqu’il crée Phone Assistance, le tout premier centre d’appels au Maroc. Un projet visionnaire qui trouve son origine dans une collaboration avec Mondial Assistance, le groupe international qui possédait déjà une plateforme de contact téléphonique. C’est avec cette base solide qu’Elalamy lance Phone Assistance, qui devient rapidement un acteur majeur dans le secteur des centres d’appels. Son entreprise séduit non seulement le marché local, mais aussi des géants internationaux du secteur, à l’instar d’Arvato, filiale du groupe Bertelsmann. En 2004, cette entreprise de renom propose à Elalamy de racheter 60% de Phone Group, tout en laissant le management entre ses mains. Un accord stratégique qui renforce la position d’Elalamy dans le secteur des technologies.

Parallèlement à cette aventure dans les nouvelles technologies, Moulay Hafid Elalamy continue de se positionner dans le secteur de l’assurance, où il a déjà fait ses preuves. En 2005, il repère une opportunité stratégique en rachetant 67,01% de CNIA Assurance, une entreprise détenue jusqu’alors par le groupe ARIG, qui cherchait à se retirer du marché marocain. Cette acquisition attire immédiatement l’attention, notamment de la Banque Populaire, qui n’était pas favorable à ce rachat.

Alors que cette dernière rêvait d’acheter cette société, elle ne s’était jamais réellement engagée dans la négociation. De son côté, la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG) était déjà en pourparlers avancés pour racheter la compagnie, mais Elalamy n’hésite pas à prendre contact avec son patron pour lui proposer une association, dans un esprit de partenariat plutôt que de surenchère. La CDG, malgré l’engagement dans les négociations, décline l’offre, et Elalamy reçoit l’avis que les discussions avec la Caisse sont rompues. Peu après, les vendeurs de la CNIA viennent à lui pour rouvrir la porte des négociations, mais il découvre avec étonnement qu’une multitude d’acheteurs « virtuels » étaient en réalité intéressés.

Faisant preuve de perspicacité, il ne tarde pas à concrétiser un autre projet stratégique : l’acquisition de 100% de la compagnie Assurances Es Saada en 2006. À cette époque, la compagnie est dans une situation difficile, et nombreux sont ceux qui pensent que l’opération est une erreur. Mais Elalamy, fidèle à sa philosophie, voit au-delà des apparences. L’acquisition de Saada va permettre la consolidation du secteur et donner naissance à une fusion entre la CNIA et Saada en 2009.

Cette décision, bien que critiquée, s’avère être une réussite. Après avoir redressé Saada, Elalamy prouve que son choix n’était pas une erreur, mais bien une manœuvre stratégique visant à accroître la taille critique de l’entreprise pour amortir ses coûts généraux et développer un réseau de distribution plus large. Bien que certains critiques dénoncent cette réussite comme une opération entre « les mêmes », la solidité du groupe Saham prouve le contraire.

Elalamy ne s’est pas contenté de cette réussite. Contrairement aux rumeurs qui circulaient, il réfute l’idée selon laquelle Attijariwafa bank aurait fait des « faveurs » à Saham. Le financement des acquisitions, notamment celle de la CNIA, a été réalisé de manière transparente, avec l’accord de crédits lors de la présidence de Oudghiri, puis sous la direction de Mohamed El-Kettani pour l’acquisition de Saada, via un pool de banques.

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La CGEM sous la présidence de Moulay Hafid Elalamy

En2006, Moulay Hafid Elalamy prend les rênes de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) dans un contexte difficile, devenant ainsi le plus jeune patron des patrons de l’histoire du Maroc. Le patronat marocain est alors menacé de perdre son institution, car le tribunal de commerce envisagerait de la mettre sous gestion faute de candidats à sa présidence. Elalamy, alors entrepreneur à succès, décide de s’engager, non pas pour conquérir un poste, mais pour sauver une organisation qu’il considère cruciale pour le tissu économique du pays. « Je n’y allais que pour un seul mandat », confie-t-il, soulignant qu’il souhaitait laisser sa place une fois sa mission accomplie.

Son arrivée à la présidence de la CGEM ne sera pas de tout repos. En parallèle de son rôle, il se consacre à des réformes majeures au sein de son groupe, notamment la fusion de CNIA et de Saada, une entreprise en difficulté. Pendant trois ans, il met de côté ses affaires, consacrant l’essentiel de son temps à la gestion de la CGEM. Cette période de retrait, bien que bénéfique pour le pays, aura un coût pour lui : il est contraint de provisionner 200 millions de DH de pertes et de fermer trois sociétés, notamment sa société de prothèses dentaires, Cap’Info et Mobisud. Mais pour Elalamy, la priorité est de mener à bien la mission qui lui a été confiée.

Son passage à la présidence de la CGEM est marqué par une série de réformes ambitieuses visant à moderniser l’organisation. Dès le début de son mandat, Elalamy annonce son intention de repositionner la CGEM non pas en tant que syndicat revendicatif, mais en tant que partenaire des pouvoirs publics. Il souhaite également l’intégrer davantage à l’international et contribuer à la politique économique du pays. Si les premiers pas sont difficiles, il parvient à fédérer l’ensemble du patronat autour de son projet. En unifiant les voix du secteur privé, la CGEM devient un interlocuteur privilégié des autorités publiques et un acteur essentiel de la stratégie économique nationale.

Elalamy souligne l’importance du « momentum » qu’il a su créer, en intégrant les opérateurs économiques aux grandes orientations politiques du pays. Ce rapprochement avec les pouvoirs publics a permis d’aboutir à des réformes structurelles bénéfiques pour l’ensemble du secteur privé, tout en contribuant au développement économique du Maroc.

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Un départ honorable de la présidence de la CGEM

Sous sa présidence, la CGEM devient un acteur central dans la politique économique nationale, notamment en collaborant avec les pouvoirs publics dans l’élaboration des politiques publiques. Cette relation de partenariat se matérialise par des décisions collectives, comme lors du blocage du port de Casablanca, où, malgré les réticences, les opérateurs ont accepté des décisions difficiles pour le bien de l’économie. Cette capacité à faire preuve d’abnégation a permis de débloquer un secteur vital pour le pays.

Son mandat à la CGEM a également permis des avancées inédites dans la relation entre les acteurs économiques et les partis politiques. Elalamy a su initier des rencontres entre les dirigeants politiques et les opérateurs économiques avant les élections, un acte qui a impressionné même les plus grandes institutions économiques internationales. Laurence Parisot, alors présidente du Medef, a salué cette initiative, soulignant qu’il était impossible d’imaginer une telle démarche en France.

Malgré les réussites, Elalamy reste fidèle à ses principes. Il rappelle que sa mission ne devait durer qu’un seul mandat et qu’il n’a pas cherché à se maintenir à tout prix à la tête de la CGEM. Il quitte ainsi la présidence en mai 2009, laissant une institution modernisée, renforcée et davantage impliquée dans la transformation du paysage économique marocain.

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L’internationalisation de Saham Group

En 2010, alors que CNIA Saada venait tout juste de faire son entrée en Bourse, l’ambitieux président du holding Saham Group, lançait son premier projet de croissance externe à l’international. Ce n’était pas un coup de maître ordinaire : il s’agissait de l’acquisition du groupe Colina, un acteur majeur du secteur de l’assurance en Afrique. Cette transaction, qui a permis à Saham de prendre le contrôle de 92% du capital de Colina, n’avait pas été facile à conclure. Après trois longues années de négociations, Elalamy réussit à s’imposer face à de puissants prétendants, notamment des hommes d’affaires chinois, qui tentaient eux aussi de racheter des parts du groupe.

Le rapprochement avec Michel Pharaon, l’homme d’affaires libanais propriétaire de Colina, a facilité la conclusion de l’accord. Pharaon, ayant une relation de confiance avec Elalamy, a préféré vendre son groupe à ce dernier plutôt qu’à d’autres acheteurs. Ce succès a permis à Saham de s’implanter solidement dans 11 pays africains, où le groupe est désormais présent par le biais de 15 compagnies d’assurance. Avec un chiffre d’affaires de 1,1 milliard de DH et un bénéfice net de 66 millions de DH, Colina représente un véritable fleuron pour le groupe Saham.

Quelques mois seulement après cette acquisition stratégique, en 2011, Elalamy ne s’arrête pas là et renforce sa position. Saham rachète l’unité de production de produits pharmaceutiques de GlaxoSmithKline (GSK) pour 21 millions de DH et noue un partenariat avec le groupe Asisa, un leader espagnol de la gestion hospitalière. Cette manœuvre s’inscrivait dans une stratégie d’anticipation d’une réforme législative imminente, qui allait permettre l’ouverture du capital des cliniques privées à des investisseurs privés.

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L’entrée au gouvernement et la nouvelle étape de sa carrière

Mais l’événement majeur qui allait marquer l’apogée de sa carrière professionnelle arriva en novembre 2013. Alors que le Maroc venait de vivre une recomposition gouvernementale après la démission des ministres de l’Istiqlal, Moulay Hafid Elalamy fit une entrée remarquée dans le gouvernement Benkirane II, nommé par le Roi Mohammed VI. Le président de Saham Group était désormais ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Économie numérique. Cette nomination, surprenante pour certains, marquait une nouvelle étape pour un homme d’affaires qui avait su transformer son groupe en un acteur clé sur la scène internationale. Soldat de Sa Majesté, Elalamy a su amorcer pendant cette période une mutation industrielle importante pour le pays. Il a notamment marqué les esprits par sa gestion exemplaire de la crise lors de la pandémie de la Covid19.

Un renouvellement de leadership chez Saham

Dans la foulée de sa nomination, Elalamy annonça son remplacement à la tête de Saham. Le choix se porta sur Saad Bendidi, un homme de confiance qu’il nomme directeur général délégué du groupe. Ce dernier allait être chargé de mener à bien les futurs défis du groupe, tandis que le fils de Moulay Hafid, Moulay M’hammed Elalamy, prenait les rênes de Saham Assistance avant de se voir propulsé à la direction de Saham Management Company. Avec ce renouvellement de leadership, le groupe se préparait à de nouveaux projets ambitieux, notamment dans les secteurs de l’éducation et de la santé, jugés essentiels pour le développement de Saham à l’échelle panafricaine.

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L’expansion de Saham dans l’éducation et la santé

En 2014, ce projet d’expansion dans l’éducation prend forme avec la création de Sana Education, une joint-venture avec un fonds d’investissement. Les établissements d’enseignement créés à Rabat et Casablanca viennent poser les premières pierres de cette initiative. Dans le domaine de la santé, Meden Healthcare pilote les ambitions du groupe. En 2017, le groupe a acquis trois cliniques et inauguré son premier hôpital pluridisciplinaire à Marrakech. Toutefois, l’année suivante, le processus de cession de Meden Healthcare a été lancé. Les centres de radiologie Blue Park à Casablanca et Bouregreg à Rabat ont ainsi été cédés, suivis par les autres actifs du Pôle santé, notamment le réseau de quatre cliniques (Ghandi et Yasmine à Casablanca, la Clinique d’oncologie de Tanger, et l’Hôpital privé de Marrakech) ainsi que les 60 laboratoires en Égypte.

La vente de Saham Finances

Cependant, la stratégie du groupe évolue rapidement, et en 2018, Moulay M’hammed Elalamy annonce une grande cession : Saham Finances, le pôle assurances du groupe, est vendu à Sanlam, le géant sud-africain, pour un montant de 1,05 milliard de dollars. Cette opération de grande envergure, après un an de négociations, a été menée à bien par Nadia Fettah, directrice générale de Saham Finances, et Raymond Farhat, conseiller stratégique de Moulay Hafid Elalamy.

Le 9 octobre 2019, Moulay Hafid Elalamy, fondateur du groupe Saham, retrouvait sa place au sein du gouvernement, cette fois dans le cadre du 32e gouvernement dirigé par Saadeddine El Otmani. Sa reconduction à son poste de ministre de l’Industrie et du Commerce marquait la continuité de son engagement politique après plusieurs années de succès dans le monde des affaires. Mais, le 7 octobre 2021, après huit années à la tête du ministère, il passait le relais à Ryad Mezzour, son successeur, dans un moment empreint d’émotion. Ce fut un départ notable pour un homme qui avait joué un rôle déterminant dans l’évolution économique des secteurs de l’industrie et du commerce.

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Les spéculations autour des projets futurs d’Elalamy

Cependant, loin d’annoncer une retraite bien méritée, Moulay Hafid Elalamy suscitait des interrogations. Son caractère discret et son goût pour l’ombre renforçaient les spéculations sur ses projets futurs. Allait-il retrouver définitivement le monde des affaires, ce milieu qu’il maîtrisait avec brio ? Ou se préparait-il à un nouveau rôle de haut niveau au sein du gouvernement, au gré des évolutions politiques du pays ? Alors que l’homme, fidèle à son tempérament, restait silencieux, les rumeurs se multipliaient. Une question persistait dans les esprits : quel serait le prochain coup de celui qui avait l’art de surprendre à chaque étape de sa carrière ?

Société Générale Maroc : une trajectoire prometteuse sous sa direction

Quelques mois après avoir été nommé Président du conseil d’administration de Téléperformance, devenant ainsi le premier marocain président d’une société du CAC40 ; le patron de Saham Group met la main sur la filiale marocaine du géant bancaire français après plus d’un mois de négociation. Le 12 juin dernier, il se livrait à un échange passionnant avec des étudiants de l’ESSEC Paris en expliquant avec une grande détermination son projet de rachat de la Société Générale Maroc. « La Sogé Maroc est une pépite du groupe Société Générale. C’est une très belle banque qui n’était pas sur la liste des sociétés à vendre. Donc, j’ai fabriqué l’opportunité ». Une déclaration qui illustre bien l’esprit visionnaire de cet homme d’affaires aguerri.

Moulay Hafid Elalamy poursuivait en précisant que l’opportunité ne s’était pas présentée par hasard. Le contexte économique mondial, notamment dans le secteur bancaire, lui avait offert une occasion en or. « Le secteur bancaire dans le monde, vous le savez bien, vit des moments compliqués. Et donc, les recentrages se font. Les fusions vont se faire davantage », détaillait-il, avec cette vision claire des dynamiques qui façonnent les marchés financiers internationaux. Cette capacité à saisir les occasions là où d’autres ne les voient pas est l’une des clés de son succès.

Société Générale Maroc connaît aujourd’hui une belle trajectoire. En 2023, la banque affiche un produit net bancaire de 4,82 milliards de DH, avec une croissance de 9,1 %, un signe évident du potentiel qu’elle recèle. Le magnat de la finance marocaine, dont le palmarès compte des réalisations impressionnantes, saura bien orienter cette institution centenaire vers de nouvelles perspectives.

Les analystes n’hésitent pas à évoquer la possibilité d’une introduction en Bourse dans les années à venir, un projet ambitieux qui symboliserait l’entrée dans une nouvelle ère pour la Société Générale Maroc, marquée par des opportunités et une croissance durable. Une fois de plus, Moulay Hafid Elalamy prouve sa capacité à transformer les défis en occasions et à modeler l’avenir du secteur bancaire au Maroc.

 
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